L’Union européenne, la Grèce et le déni de démocratie : lettre ouverte au Monde de Denis Monod-Broca

Monsieur ou Madame l’éditorialiste,

“L’Union est riche de sa diversité et de sa foi dans le jeu démocratique” écrivez-vous, dans votre édito de ce 31 décembre 2014.

Ah ! Qu’en termes galants ces choses-là sont mises !

Il fallait que vous l’écriviez. Il le fallait absolument. Pour nier la réalité, trop contraire, pour conjurer le sort, trop certain.

L’UE telle qu’elle se construit, ou plutôt telle que ses instances dirigeantes se comportent, veut mouler tous les peuples européens dans un même peuple, fusionner toutes les nations européennes dans une même nation, comme elle a prétendu fondre toutes leurs monnaies en une seule monnaie avec les conséquences que l’on sait. Dans ces conditions, loin d’être “riche de sa diversité”, l’Union est condamnée par sa diversité, condamnée à la paralysie puis à l’éclatement. L’UE pourrait être une organisation internationale comme une autre, riche de sa diversité, œuvrant à la bonne entente et à la collaboration entre ses membres, aussi divers et différents soient-ils. Son idéologie supranationale le lui interdit, et la condamne. Alors, vous deviez l’écrire, oui, absolument, « L’Union est riche de sa diversité ».

L’UE telle qu’elle se construit, ou plutôt telle que ses instances dirigeantes se comportent, ne garde de la démocratie que son aspect formel : un vote de temps en temps, os à ronger jeté à des peuples immatures. C’est bien ce qu’exprime toute la suite de votre papier. La Grèce va voter, très bien, mais elle ne saurait renier ses engagements, ni renoncer à l’austérité que nous lui imposons, ni répudier sa dette, ni sortir de l’euro… Que la Grèce vote convient très bien à Bruxelles du moment que son vote n’a aucune influence sur le cours de choses. C’est cela que vous écrivez. C’est cela la foi dans le jeu démocratique de l’Union : les apparences de la démocratie mais surtout pas la démocratie. On l’a vue en 2005 en France, souvenir oh combien cuisant ! D’ailleurs le candidat à la présidence qui avait les faveurs de l’Europe et du Monde, mais n’a pas eu celles du Parlement grec, est un Grec comme vous les aimez, un bon Grec, un Grec passé par Wall Street, par la banque mondiale et par la commission européenne, quand même pas passé par Goldman Sachs mais c’est tout comme, un Grec moins grec que néolibéral, mondialiste et européiste, en somme un Grec sachant jouer le jeu démocratique à la sauce de l’Union. La réalité est que l’Union de vos rêves et la démocratie sont irrémédiablement antinomiques… Le drame de l’Union est qu’elle n’a foi en rien, qu’elle met un point d’honneur à n’avoir foi en rien. Sinon, sans se l’avouer toujours, foi en elle-même et dans les « valeurs » qu’elle se fabrique pour les besoins de la cause. Alors, vous deviez l’écrire, oui, absolument, « l’Union est riche de sa foi dans le jeu démocratique ».

Je passe sur une autre de vos phrases, purement conjuratoire elle aussi, « […] des garde-fous ont été édifiés, et l’euro n’est plus au bord du précipice », et je vous prie de recevoir, Monsieur ou Madame l’éditorialiste, tous mes vœux, les meilleurs et les plus sincères, pour l’année 2015, d’autant plus qu’elle pourrait bien être, cette année qui vient, sacrément difficile en France, en Europe et dans le monde…

Denis Monod-Broca