Vojislav Seselj, dirigeant du Parti Radical de Serbie, récemment libéré de la prison du TPIY donne une interview exclusive à Eurasie Express

Vojislav Seselj, une course de vitesse avec le temps…

Pendant douze ans, alors qu’avec Slobodan Milosevic il était le plus célèbre des prisonniers embastillés dans la forteresse du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, Seselj avait une bonne longueur d’avance. Les événements tels qu’ils se déployaient confirmaient en tous points ses vues essentielles sur la corruption constitutive du Tribunal, les conséquences fatales du globalisme et les machinations coloniales ourdies par les Occidentaux dans sa Serbie natale. Mais maintenant, alors que le Tribunal, pressé par ses maîtres de lui trouver à tous prix un motif de culpabilité, se trouve dans l’impossibilité de formuler le moindre argument en ce sens au terme d’un combat judiciaire inéquitable de plus d’une dizaine d’années, Vojislav Seselj a vraiment peu de temps pour confirmer son triomphe.

Comme Hugo Chavez, Seselj est sérieusement atteint d’un cancer qui s’est déclaré dans d’étranges circonstances. Le calcul du Tribunal et de ses maîtres est clair : le nouveau décès d’un haut dirigeant dans leurs geôles, comme celui de Milosevic, serait sérieusement embarrassant. Après que le détenu Seselj ait lui-même démoli la machine impitoyable de l’accusation, un verdict de culpabilité juridiquement crédible semble très peu probable. Mais il ne peut y avoir d’acquittement pour l’homme qui sur le plan politique incarne une menace majeure pour les intérêts globalistes occidentaux dans une Serbie géopolitiquement vitale. Un cancer du foie avec un pronostic vital de trois à six mois, qu’il soit spontané ou provoqué, est précisément la solution idéale que Ponce Pilate eût volontiers approuvée. Laissons le donc revenir en Serbie, causer un peu d’agitation, et quitter ensuite ce monde dans des circonstances dont ses geôliers puissent se laver les mains. L’affaire close, il sera inutile d’écrire un jugement forcément condamné au ridicule.

Les difficultés à affronter pour celui qui s’efforcerait de renverser les marionnettes solidement installées dans le système néo-colonial imposé à la Serbie après la “révolution orange” du 5 octobre 2000 sont énormes. Dans la Serbie humiliée de l’après-2000, le concept de “domination globale absolue” a atteint son apogée. Les services de renseignements occidentaux infiltrent ses institutions officielles et les dirigent de l’intérieur. Des agents d’influence étrangers ont pénétré le moindre recoin des médias et tous les pores de la vie publique. Des O”NG” occidentales richement dotées décident des paramètres de ce qu’il est permis de penser et intimident les dissidents en toute impunité.

La nation serbe, qui s’est vaillamment opposée aux agresseurs otaniens il y a tout juste quinze ans, est maintenant exténuée, sans illusions et à la dérive. On l’entend à peine respirer. Sa seule chance de revenir à la vie tient dans la rencontre sincère avec un homme passionné, sorti du ventre de la bête à la Haye en vainqueur incontestable de l’une des incarnations du Monstre voué à la destruction de la Serbie :

lcEurasie Express : Vojislav Seselj, quel est votre statut actuel ? Vous avez été relâché pour raisons de santé en attente de votre jugement : envisagez-vous de reprendre une activité politique ?

Vojislav Seselj : J’ai littéralement été expulsé par le Tribunal de La Haye. S’ils avaient eu la moindre raison de me trouver coupable, ils en auraient déjà fait état depuis longtemps. Ils n’ont pas pu parce qu’ils ont été incapables de démontrer mon implication dans quelque crime de guerre ou contre l’humanité que ce soit. J’ai été relâché par La Haye sans conditions aucunes et bien sûr j’ai immédiatement repris mes activités politiques. En fait, je ne les avais jamais interrompues à La Haye. La politique est ma meilleure thérapie.

E.E. : Vous avez bénéficié d’une faveur qui a été refusée à Slobodan Milosevic, pourquoi à votre avis ?

V.S. : Ma libération temporaire n’a rien à voir avec mon état de santé. Il ne savaient tout simplement plus que faire de moi plus longemps. J’ai démoli le Tribunal de La Haye, j’ai rendu vain l’acte d’accusation produit contre moi en 2003, j’ai ridiculisé le ministère public et ses faux témoins. Que leur restait-il donc à faire ? Leur seule échappatoire était de me mettre à la porte de Scheveningen, et c’est ce qu’ils ont fait le 12 novembre 2014.

E.E. : Le président Milosevic a-t-il été délibérément assassiné ? Pouvez-vous nous donner votre témoignage à ce sujet et quelles étaient vos relations avec lui ?

V.S. : J’ai traversé plusieurs phases dans mes relations avec Milosevic. Je me suis opposé à lui lorsqu’il était évident qu’il prenait de mauvaises décisions. J’étais son opposant politique et il m’a fait incarcérer. Lorsqu’il agissait dans l’intérêt de la nation, je le soutenais, mais nous n’avons jamais été amis. C’est seulement à La Haye que nous le sommes devenus. Milosevic a été l’un des Serbes qui ont perdu leur vie au Tribunal de La Haye. Le Tribunal est responsable de sa mort. Ne serait-ce que parce qu’ils ne se sont pas assurés qu’il disposât des soins médicaux dont il avait besoin.

E.E. : Quelles étaient vos conditions de détention ?

V.S. : Scheveningen est une prison hollandaise dont une partie est louée aux Nations Unies pour pourvoir aux besoins du Tribunal de La Haye. Je n’ai aucun commentaire à faire sur les conditions de vie dans le bloc de détention. Une prison est une prison.

E.E. : Quelles étaient vos relations avec les autres détenus du TPIY, notamment avec les Albanais Haradinaj et Limaj ?

V.S. : Chacun en prison se trouve dans une position très spéciale. Il faut vous y adapter. J’avais de bonnes relations avec tout le monde à mon étage. Avec certains je jouais aux échecs, ou à différents jeux de cartes, mais je préférais la compagnie de ceux qui aimaient lire. C’est avec eux que j’avais le plus de sujets en commun.

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E.E. : Votre libération provisoire préjuge-t-elle du jugement qui sera rendu à votre égard ?

V.S. : Qu’un jugement soit rendu ou pas dans mon cas ne me concerne plus du tout. Je n’y retournerai jamais volontairement. J’ai été à leur disposition pendant douze années et ils ont eu suffisamment de temps pour rendre un jugement. S’ils décident mon retour à Scheveningen, alors Tomislav Nikolic et Alexandar Vucic, qui ont été mes plus proches collaborateurs dans la réalisation de tous ces crimes de guerre supposés, devront m’arrêter et me transférer là-bas.

E.E. : Y a-t-il un lien entre la décision du TPIY de vous libérer et la marche de la Serbie vers l’intégration à l’Union européenne ?

V.S. : Bien sûr que non, et le Parti Radical de Serbie et moi-même ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour arrêter la marche fatale de la Serbie vers l’Union européenne. L’Union européenne est un mal et n’existe que que pour opprimer les petits Etats-nations. Nous allons résister à ce mal et nous utiliserons tous les moyens démocratiques à notre disposition dans ce but.

E.E. : Vous connaissez le TPIY de l’intérieur, quel jugement portez vous dessus ?

V.S. : Je savais avant même d’aller à La Haye que le Tribunal était un instrument américain et que c’était une cour illégale créée principalement pour condamner les Serbes, de façon à déclarer les Serbes responsables des crimes commis sur le territoire de l’ex-Yougoslavie et détourner l’attention des USA et des autres grandes puissances occidentales qui sont en fait coupables de la désintégration sanglante de l’ex-Yougoslavie. J’en ai parlé avant de partir pour La Haye, et aussi quand j’y étais, et ma position n’a pas changé. Je suis fier de ce que devant l’opinion mondiale j’aie réussi à démolir ce pseudo-tribunal.

E.E. : Que pensez-vous de la politique du gouvernement serbe actuel dirigé par d’anciens radicaux qui ont fait scission en 2008 pour créer le Parti Progressiste de Serbie ?

V.S. : En 2008 un coup a été tenté à l’intérieur du Parti Radical de Serbie. Un grosse quantité d’argent a été investie dans ce projet et le régime du Parti Démocratique alors au pouvoir, dirigé par Boris Tadic, a également donné un coup de main pour la formation du Parti Progressiste de Serbie. Nous savions que l’Occident avait besoin d’un tel parti pour accomplir ses basses oeuvres en Serbie. Alexandar Vucic et Tomislav Nikolic ont apporté la preuve concernant le Kosovo et Métochie qu’ils étaient prêts à faire tout ce que Boris Tadic n’avait pas osé faire. Et ils l’ont fait. Avec Ivica Dacic (1) ils ont signé l’accord de Bruxelles qui a de facto livré le Kosovo et Métochie aux Albanais. A cause de la soi disant “voie européenne” ils ont plongé le pays et les gens dans la crise économique et la misère sociale. Ils conduisent une politique félonne et servile à laquelle le Parti Radical de Serbie va s’opposer par tous les moyens légitimes. L’Occident va se servir de Vucic et Nikolic et ensuite en disposer comme du papier toilette. Ils sont tout juste bons à cet unique emploi et ceux qui les ont mis au pouvoir les ont déjà passés aux profits et pertes. Leur mort politique est déjà programmée.

E.E. : Que pensez-vous du rapprochement récent entre le gouvernement serbe et la Russie, notamment au sujet du gazoduc South Stream auquel Bruxelles s’est opposé et des sanctions contre la Russie auxquelles la Serbie a refusé de s’associer ?

V.S. : Le régime d’Alexandre Vucic essaye de jouer un double jeu. Leur orientation essentielle est l’Union européenne, tandis que la coopération avec la Russie n’est pas sincère. S’ils y sont contraints, ils vont adopter les sanctions contre la Russie parce qu’ils sont des marionnettes des Occidentaux. En ce qui concerne South Stream, le Parti Radical de Serbie pense que c’est le meilleur accord que la Serbie ait conclu, et que même si South Stream n’est pas construit la Serbie recevra d’importants bénéfices économiques grâce à cet accord.

E.E. : Pensez-vous que la Serbie puisse rejoindre l’Union douanière avec la Russie tout en étant associée d’une manière ou d’une autre avec l’Union européenne ?

V.S. : Nous sommes pour une étroite collaboration avec la Russie et nous sommes opposés à l’Union européenne. Le comité exécutif du Parti Radical de Serbie a adopté une résolution appelant à la dissolution de l’Union européenne. La Serbie a signé un accord de libre-échange avec la Russie et jusqu’à présent aucun régime n’en a tiré tous les avantages pour que la Serbie puisse pleinement en bénéficier. Nous sommes pour l’Union douanière avec la Russie et pour la participation au système de sécurité collective (2) qui s’est formé autour d’elle, comme pour toutes les autres formes de coopération. La coopération avec la Russie va renforcer la Serbie dans tous les domaines, politique, économique, culturel…

E.E. : Sur quelles forces politiques pouvez-vous compter en Serbie, combien de députés radicaux vous sont-ils restés fidèles ?

V.S. : Le Parti Radical de Serbie connaît à l’heure actuelle une phase de renforcement significatif de nos unités de base. Nous sommes ouverts à tous ceux qui ont été trompés en abandonnant notre parti et en rejoignant le Parti Progressiste de Serbie. Nous nous attendons à ce que tous les patriotes sincères rejoignent nos rangs parce que le Parti Radical de Serbie est la seule option patriote en Serbie.

E.E. : Allez-vous rejoindre l’alliance des forces patriotiques d’opposition favorable au rapprochement avec la Russie (3) ?

V.S. : Nous sommes prêts à discuter avec des gens sérieux. Dveri n’est pas encore enregistré en tant que parti politique et le PDS s’est divisé en plusieurs fractions. Celle qui se trouve sous la direction de Sanda Raskovic-Ivic a été créée par Alexandar Vucic et nous n’avons rien à dicuter avec eux. Nous pouvons néanmoins dicuter avec Nenad Popovic, Slobodan Samardzic et Sinisa Kovacevic. Mais il est encore trop tôt. Nous pensons que chaque parti doit se présenter individuellement aux élections et que les coalitions peuvent être formées seulement après.

E.E. : Votre libération n’a-t-elle pas des motifs de politique intérieure ?

V.S. : Ma libération provisoire n’a rien à voir avec cela, mais elle a des conséquences sur la scène politique serbe. Nous nous préparons sérieusement à organiser des meetings à travers toute la Serbie pour expliquer aux gens le caractère désastreux du régime d’Alexandar Vucic et Tomislav Nikolic. Je suis convaincu que dès 2015 nous réussirons à provoquer des élections législatives anticipées et que nous réaliserons des gains importants à cette occasion. J’ai déjà rendu visite à de nombreuses villes en Serbie. J’ai été invité dans des émissions de télévisions locales et dans les municipalités j’ai été accueilli par une foule énorme. L’opinion publique est manifestement favorable au Parti Radical de Serbie, en dépit du fait qu’Alexandar Vucic se soit arrangé pour que je ne sois entendu sur aucun média de fréquence nationale.

Interview du 29 décembre 2014. Présentation et réalisation : Stephen Karganovic. Questions et notes : Frédéric Saillot. Traduction : Stephen Karganovic et Frédéric Saillot.

(1) Dirigeant du Parti Socialiste de Serbie, il est vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères de Serbie. Tomislav Nikolic et Alexander Vucic, ex-radicaux et dirigeants du Parti Progressiste de Serbie sont respectivement président et premier ministre de Serbie.
(2) L’OTSC, Organisation du traité de sécurité collective, qualifiée d’OTAN russe, regroupe l’Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan, la Russie, le Tadjikistan, le Kirghizistan ainsi que la Serbie comme Etat observateur.
(3) Dveri (Les Portes), mouvement non parlementaire, et le Parti Démocratique de Serbie (PDS), présidé par Sanda Raskovic-Ivic, ont annoncé le 16 novembre 2014 la création d’une alliance de forces patriotiques d’opposition favorable au rapprochement avec la Russie (Dépêche Ria Novosti du 18/11/2014).