Un monde sans pilote, une chance pour la France ! par Jacques MYARD,

A l’issue d’une longue période de stabilité, organisée en deux blocs – les rouges, les méchants sous l’autorité de l’U.R.S.S et les bleus, les bons, tous sous la tutelle de l’Alliance atlantique et des Etats-Unis, la scène internationale, après la chute du mur de Berlin en 1989, est à nouveau entrée en mouvement ; les alliances sont souvent éphémères en fonction des sujets et des enjeux.
Le monde est devenu brownien, sans pilote, il n’y a plus d’hyperpuissance qui domine sans partage le monde, c’est l’ère des puissances relatives. Mais, dans ce monde globalisé, les Etats ont perdu le monopole des relations internationales. Les relations transnationales se sont développées à l’aune de l’explosion des communications internationales.
Une nouvelle donne mondiale est née, c’est une chance pour la France.

L’ère des puissances relatives.

De 1945 à 1989, le monde était assez simple, coupé en deux, le bloc communiste et le monde libre. Depuis le partage de l’Europe à la conférence de Potsdam en juillet 1945, chaque bloc fit la police dans son camp. Il est vrai que la répression du côté soviétique fut constante : Berlin 17 juin 1952, Budapest 1956, Prague 1967.Les deux blocs se jaugeaient à travers des champions secondaires : guerre de Corée 1950, crise de Cuba 1962, confrontations en Afrique, en Angola.
Ce monde bipolaire était hors norme, un monde anormal au regard de l’Histoire.
L’acte final d’Helsinki du 1er août 1975 avec sa troisième corbeille qui consacre le respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, a directement concouru à la déstabilisation de l’U.R.S.S. Il fut publié en U.R.S.S. L’article VII de l’Acte d’Helsinki stipule notamment « Les Etats participants respectent les droits de l’Homme et les libertés fondamentales y compris la liberté de pensée, de conscience, de religion ou de conviction pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion. Ils favorisent en encourageant l’exercice effectif des libertés et des droits civiques politiques, économiques, sociaux, culturels et autres qui découlent de la dignité de la personne humaine ».
Les intellectuels russes dissidents comme Alexandre Soljenitsyne, prix Nobel de littérature en 1970, et Andreï Sakharov, physicien, prix Nobel de la Paix en 1975 – mais il ne put se rendre à Oslo pour le recevoir – furent encouragés dans leurs actions contre le régime communiste, même si leur influence sur son évolution doit être relativisée.
Les difficultés économiques grandissantes de l’URSS, son incapacité à se réformer, l’arrivée de Mikhaïl Gorbatchev au pouvoir à Moscou en 1985 et sa politique de « perestroïka » – reconstruction – aboutirent à un affaiblissement radical du régime et à la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989.
La fin du monde en deux blocs, de ce monde binaire, la réunification de l’Allemagne, l’émancipation des satellites de Moscou avec le démantèlement de l’U.R.S.S donnèrentnaissance à un monde nouveau dont il n’était pas toujours très évident d’en comprendre les marques, le logiciel.
Certains esprits ironisaient même en déplorant que « l’ennemi – l’U.R.S.S – nous avait trahis! »
Les Etats-Unis apparaissent alors comme la seule superpuissance, Hubert Védrine, Ministre des Affaires Etrangères, parla même « d’hyperpuissance ».C’est l’époque où les Etats-Unis ne semblent avoir en face d’eux aucun concurrent capable de leur résister.Francis Fukuyama publie en 1992, un ouvrage, resté célèbre par sa prophétie osée voire simpliste, « La fin de l’Histoire et le dernier homme » dans lequel il défend l’idée de la fin des idéologies dans l’Histoire et la généralisation de la démocratie libérale. Cette absence de rival à la hauteur de leur puissance entraîinèrent les Etats-Unis dans une période d’hubris, de démesure, avec l’accession au pouvoir des néo-conservateurs qui engagèrent leur pays dans l’aventure irakienne en 2003.

Mais le monde a toujours peur du vide et la suprématie absolue américaine ne dura que le temps d’une rose.

En premier lieu, sur le plan militaire, la première puissance mondiale est en difficulté en Afghanistan et en Irak face à des ennemis qui pratiquent la guerre asymétrique, du faible au fort.
Mais en parallèle, l’émergence de nouvelles puissances asiatiques notamment la Chine, l’Inde, l’Indonésie et en Amérique, le Brésil, relativise la puissance des Etats-Unis mais aussi des Etats européens.
L’ère des puissances relatives est née. Le monde change de logiciel. Les coalitions, au-delà des alliances qui perdurent, se forment et disparaissent en fonction des enjeux et des crises internationales.
– la France refuse de soutenir la coalition conduite par les Américains contre Saddam Hussein, à l’inverse du Royaume-Uni, de l’Espagne
– la question du climat oppose dans un premier temps les Etats de l’Union européenne à la Chine et aux Etats-Unis et c’est l’échec relatif de la conférence de Copenhague de 2009.
– le nucléaire iranien : les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, puissances nucléaires, se retrouvent unis pour s’opposer au programme nucléaire iranien, même si Paris semble adopter une ligne plus ferme que Washington.
L’ancien secrétaire de la défense des Etats-Unis (2001-2006) Donald Rumsfeld dit à propos de l’évolution de l’alliance atlantique, mais la formule vaut bien au-delà et s’applique à la nouvelle donne mondiale « c’est la mission qui commande la coalition ».

La montée prégnante du monde transnational

L’arrivée des nouvelles puissances émergentes qui inaugure l’ère des puissances relatives, ne constitue pas la seule transformation structurelle de la scène internationale.
En effet, la révolution des moyens de communication – transport et toile informatique – a transformé le monde en un « village planétaire » qui est pris en permanence sous « le poids des mots et le choc des images » selon la formule célèbre de l’hebdomadaire Paris Match.
De surcroît, la dérégulation des flux financiers a mis sous tutelle toute l’économie mondiale, la fragilisant à l’extrême, tel le Titanic sans caissons ; les multinationales, souvent plus puissantes que les Etats, jouent sans limite et sans frontière la carte de la globalisation.
Mais elles ne sont pas les seules, les trafics en tout genre se développent, le crime organisé – drogue, trafic d’armes, prostitution et terrorisme – profitent à l’envi de la totale liberté planétaire des échanges.
Al Qaida, « l’ Etat islamique » qui aspire à s‘ériger en califat sont les nouvelles formes prises par le terrorisme international qui s’inspire d’une interprétation ulra-radicale de l’islam et savent comme nul autre utiliser les ressources d’internet.
Ce monde quasiment sans écluses engendre des flux migratoires dont l’intensité ne cesse d’ augmenter au gré de la faillite politique de certains Etats – Libye, Somalie -, des guerres civiles – Syrie, Erythrée – et de l’explosion démographique de l’Afrique qui avait 250 millions d’habitants en 1950, en compte 1100 millions aujourd’hui et bientôt 1600 millions d’ici 25 ans.

Un monde sans pilote

Le monde, village planétaire, est devenu brownien, en perpétuel mouvement ; on est loin du monde bipolaire où chaque camp veillait à discipliner ses vassaux – même si sur ce point l’ordre régnait davantage dans le bloc soviétique que dans le bloc occidental.
L’opinion publique occidentale s’enflamme parfois, s’émeut jusqu’à la colère devant les massacres des guerres civiles ; elle appelle la communauté internationale à agir pour faire cesser les combats, mais la communauté internationale n’existe pas, c’est un mot « valise », réducteur mais commode, le plus souvent vide de sens.
Certes, parfois, le Conseil de sécurité de l’O.N.U, en application du chapitre VII sur le maintien de la paix réussit à prendre des décisions coercitives mais pour combien de vetos ! et combien de décisions sont suivies d’effet, mises en œuvre ! Bien peu…
Le monde est sans pilote, des conflits perdurent comme la guerre civile en Syrie sans que personne, sans qu’aucune grande puissance ne puisse imposer une solution politique.
Mais il est vrai que l’exemple de la Syrie illustre trop bien la partie magistrale de poker menteur de tous les Etats du Proche-Orient qui prétendent lutter contre le terrorisme et pratiquent le double jeu permanent.

Une chance pour la France

Ce monde est paradoxal : en agitation permanente, sans pilote, il peut apparaître plus instable, plus dangereux que le monde bipolaire, en réalité, il ne l’est ni plus ni moins car il est autobloquant dès lors qu’une puissance voudrait imposer sa loi, elle coaliserait ses voisins, voire le reste du monde contre elle. La menace a surtout changé de dimension avec l’explosion des facteurs transnationaux.
Ce monde donne à la France des marges d’actions considérables à la condition qu’elle en ait la volonté et se donne un minimum de moyens.
Les moyens tout d’abord :
C’est en premier lieu son service diplomatique dont la qualité est reconnu par tous les spécialistes, mais qui subit depuis plus de 25 ans une purge budgétaire inadmissible pour un service régalien irremplaçable dont le gouvernement, au risque de devenir aveugle sur la scène internationale, ne peut se passer. Dans certains pays, la France n’est représentée que par un Ambassadeur et un ou deux diplomates, ce n’est pas admissible.
C’est ensuite, ses forces armées qui couvrent l’action diplomatique et la crédibilisent. Là encore, la France joue avec le feu, même si le Président de la République sous la pression des événements, a été contrait de revenir sur des décisions de réduction des effectifs. Nous devons prendre conscience qu’en dessous de 2% de notre P.I.B- hors pensions- consacrés à notre défense, nous nous mettons en état de faiblesse face à la montée des périls.
Les moyens, c’est aussi réviser notre politique économique et budgétaire imposée par l’Union européenne et qui provoque la récession. J’ai analysé dans mon livre « la Nation ou le chaos » publié en 2014 chez l’Harmattan, les 7 péchés capitaux de la France, fautes internes et fautes européennes qui pèsent sur notre économie. J’y renvoie le lecteur.
Une chose est certaine, les réformes doivent être structurelles et concerner au niveau interne le temps de travail, les retraites, notre mille feuilles territorial, les largesses sociales, la fiscalité et, au niveau européen, la politique industrielle, absente, la réciprocité dans les échanges commerciaux, lacunaire, et la monnaie unique, inadaptée.
Cette dernière considération amène la question des alliances et de l’Europe.
La France a rallié l’O.T.A.N – sauf le comité nucléaire – ; ce n’était pas une nécessité et je m’y suis opposé. La thèse était de rallier nos partenaires européens à une défense européenne selon le trilogisme : la France est partisane d’une défense européenne, nos partenaires de l’O.T.A.N, la France entre donc dans l’O.T.A.N pour convaincre nos partenaires d’adhérer à une défense européenne – que l’on attend toujours comme Godot !
Toutefois, il faut constater que l’Alliance atlantique et l’O.T.A.N se sont fondamentalement transformées. Certes l’O.T.A.N fonctionne selon un logiciel américain uniquement et les prétentions françaises d’avoir cru pouvoir les modifier étaient et demeurent illusoires.
Mais l’O.T.A.N n’est plus un bloc, et fonctionne à la carte dès lors que les Américains l’ont accepté. Selon les dires de Rumsfeld « c’est la mission qui commande la coalition »
Mais attention, ce n’est pas et ne sera jamais un blanc-seing des Américains qui pourront toujours bloquer l’utilisation des moyens de l’O.T.A.N s’ils estiment que l’action de certains de leurs alliés est contraire à leurs intérêts.
La France doit, en conséquence, garder une complète autonomie militaire, notamment en terme de renseignements satellitaires.
La question de la politique étrangère de l’Union européenne doit être examinée avec attention car empreinte d’une forte utopie, elle constitue un cadre paralysant redoutable.
Lors de plusieurs réunions de la commission des Affaires Etrangères, Jacques Delors lui-même, que l’on ne peut suspecter d’europhobie, a clairement déclaré « il n’y aura jamais d’Europe puissance, c’est une utopie du quai d’Orsay et il n’y aura jamais de réelle politique étrangère commune ».
Toutefois, cela m’empêche pas l’Union européenne d’avoir créé un service diplomatique et d’avoir obtenu des Etats membres l’autorisation de qualifier ses représentants hors Union, d’Ambassadeur. Tout cela au nom d’une fuite en avant coutumière de la technocratie de Bruxelles.
La réalité est bien loin du mythe européen, car les 28 n’ont ni les mêmes analyses, ni surtout les mêmes intérêts : la Roumanie souhaite l’entrée de la Turquie dans l’Union, les Etats Baltes et la Pologne voient toujours en Moscou la capitale des Soviets et en Vladimir Poutine, un nouveau « petit père des peuples » enclin à l’expansionnisme.
Dans ces conditions, s’aligner sur nos partenaires européens au nom de la solidarité européenne obligée, aboutit à directement agir contre nos intérêts et paralyse toute initiative.
La France doit agir comme une puissance d’équilibre entre Washington et Moscou qui est un partenaire de poids sur le continent européen
La France doit conduire une politique étrangère indépendante tous azimuts
La France est membre de l’Alliance atlantique et le restera ; elle est membre de l’Union européenne et le restera. Même si cette dernière devra être refondée totalement, à peine de mourir d’apoplexie en raison de son trop plein de compétences et de son incapacité à agir.Relevons au passage qu’une refondation de l’Union européenne devrait permettre au budget français de récupérer chaque année 9 milliards d’euros, soit le solde du coût de l’Union européenne pour la France, qui seront les bienvenus pour notre défense et notre diplomatie. Assez d’aveuglement philanthropique !
Aujourd’hui le danger n’est plus sur la Vistule ou l’Oder-Neisse, les chars soviétiques ne sont plus à deux étapes du tour de France, la France doit réorienter radicalement son action diplomatique sur les nouvelles ruptures, les nouveaux enjeux et s’exprimer souverainement. Notre avenir se joue aujourd’hui sur notre flan sud, en Méditerranée, au Proche et Moyen-Orient et en Afrique, continents et régions traversées par des ruptures géostratégiques d’une rare ampleur à 2 heures d’avions de la France.Nous devons y mener des actions bilatérales avec notamment des moyens rapatriés de l’Union européenne.
Nous devons cesser d’agir de manière multilatérale, ce qui dissout nos moyens dans la masse et les rend politiquement anonymes. L’heure est au multi-bilatéral afin de tirer le bénéfice politique de nos actions.
Quant au reste du Monde, l’Asie, les Amériques, nous devons avoir la sagesse d’y pratiquer des stratégies d’influence commerciales, économiques et surtout culturelles tout en suivant politiquement l’évolution de ces continents en raison de notre siège de membre permanent du conseil de sécurité que nous ne saurions partager avec quiconque !

Conclusion

Comme nous le disions jadis ironiquement à Berlin, nous sommes au pied du mur.
L’alternative est simple : ou nous continuons à croire aux utopies naïves de l’Europe et du multilatéral et nous nous effaçons derrière ces constructions artificielles et quittons l’Histoire, ou nous reprenons la maîtrise de nos décisions et de notre destin et nous continuons à participer souverainement au concert des Nations, en faisant entendre la singulière mais forte voix de la France.

Jacques MYARD,
député, maire de Maisons-Laffitte, président du Cercle Nation et République