Le prochain mandat de Poutine assuré mais écourté ?

Poutine a été mis aux affaires par l’entourage de Eltsine en 1999. Comme l’a montré Vitali Manski, caméra au poing (1), ce sont les libéraux qui ont inventé la technologie permettant son élection le 26 mars 2000. A l’exception de Grigori Iavlinski, fondateur du parti Iabloko, et dans une moindre mesure de Boris Nemtsov, l’un des fondateurs du “Conseil des forces de droite”, tandis que d’autres décidaient de soutenir le futur tyran : Iegor Gaïdar, Anatoli Tchoubaïs et Sergueï Kirienko. Poutine fut donc élu au premier tour avec 53,44 % des voix, contre 29,21 % au communiste Ziouganov et 5,85 % au libéral Iavlinski. Depuis, il a régulièrement été “réélu”, ainsi que son compère Medvedev, grâce à la technologie sans cesse affinée de l’Administration présidentielle (AP), dirigée par le toujours Kirienko. Cette caution libérale explique en partie le soutien dont il a bénéficié de la part de l’Occident, outre qu’il y était considéré comme un garant de l’ordre en Fédération russienne. Soutien dont il a continué à bénéficier par la délivrance délibérément retardée et au compte goutte des armes occidentales à l’Ukraine, lui permettant d’éviter une défaite en rase campagne et son éviction du pouvoir. Mais la poursuite obstinée de son plan d’agression, dans le cadre de l’ultimatum du 17 décembre 2021 (2), accompagnée, sur le plan intérieur, de l’éviction arbitraire de Boris Nadejdine du scrutin présidentiel, une répression sans cesse accrue et l’assassinat du premier opposant Alexeï Navalny, ont décidé les Occidentaux à mettre le holà à ses ambitions. Selon Nadejdine, il pourrait bien d’ailleurs ne pas terminer le mandat que le simulacre d’élections des 15 au 17 mars prochains lui offrira.

Depuis l’entrée en guerre décidée par Poutine en février 2022, la Fédération russienne traverse en effet une zone de turbulence continue. Il y d’abord eu le conflit entre Prigojine et la direction de l’armée, pendant les neufs mois du siège de Bakhmout d’octobre 2022 à juin 2023, au cours duquel la capacité de Poutine à diriger le pays a pour la première fois été publiquement mise en cause. Lors de la marche des unités Wagner sur Moscou, il n’y a d’ailleurs eu aucune manifestation spontanée de soutien au dictateur, un signe qui ne trompe pas. Au contraire, alors qu’il consentait à quitter Rostov occupée par ses troupes, Prigojine a reçu une véritable ovation de la part des habitants. Son assassinat fin décembre a précédé de peu la candidature d’une jeune femme bravant la peur et l’interdit, Ekaterina Dountsova, ouvrant la campagne présidentielle et remportant d’emblée une adhésion populaire. Kirienko et l’AP ont immédiatement vu le danger pour les 80 % de voix planifiées pour la réélection de Poutine, et fait invalider son “groupe d’initiative”, préalable nécessaire, par la Commission électorale (TSIK). Mais la vague d’énergie provoquée par Dountsova a profité à un candidat dont la campagne avait démarré dans une relative indifférence. Nadejdine a lui même avoué avoir été dépassé par les queues de supporters venus signer leur soutien à sa candidature dans toutes les villes de la Fédération, par des températures parfois sibériennes. L’AP n’a donc à nouveau pas manqué d’éliminer ce concurrent dès la mi-février. Elle avait un temps envisagé de l’utiliser comme légitimation de l’élection, en autorisant la TSIK à valider son “groupe d’initiative”, mais Nadejdine gagnant chaque semaine 5 % dans les sondages, amenuisant progressivement le pourcentage réservé à Poutine, les signatures ont été invalidées sous des prétextes arbitraires et non démontrés. Notamment les soi-disant expertises de graphologues qui sont restées confidentielles en dépit de la réglementation.

C’est alors que la mort de Navalny, vraisemblablement assassiné sur ordre de Poutine, a retenti comme un véritable coup de tonnerre le 15 février. Son véritable Chemin de croix depuis qu’il avait décidé de rentrer en Russie en janvier 2021, après avoir été soigné en Allemagne de la tentative d’empoisonnement dont il avait été victime, son courage, sa détermination, son humour, l’énergie de combat qu’il a insufflée à toute une partie de la population, notamment à la jeunesse, en font désormais un symbole de la résistance au régime totalitaire progressivement mis en place par Poutine. “Ne vous rendez pas !”, “Je n’ai pas peur et vous n’ayez pas peur !”, “La Russie sera heureuse”, sont les mots d’ordre prononcés avec force par Navalny, qui continueront à retentir. Ses funérailles le 1er mars, après quinze jours de chantages sur son cadavre de la part du Kremlin, qui a fini par céder, ont été l’occasion de la première manifestation massive depuis le déclenchement de la guerre. Jusqu’à 27 000 participants ont fait ce jour-là une queue de plusieurs kilomètres dans le modeste quartier du sud de Moscou où a vécu le leader de l’opposition avec sa famille, bravant la peur et la répression (3). Comme l’a déclaré une participante : “j’ai eu peur, mais je ne pouvais pas ne pas y aller”. Une digue semble ainsi avoir été rompue, derrière laquelle le régime tâche de contenir la population par l’extrême violence de la répression. Le fait est que le jour-même, la police, massivement présente, s’est comportée “à l’européenne”, aux dires de certains commentateurs. Le fait est également que le streaming de Dojd (4 millions de vues) et celui de la chaîne YouTube de Navalny (près de 5 millions de vues), montrait un public très diversifié, toutes générations confondues.

Unie dans le recueillement, la foule venue rendre hommage à celui qui avait donné sa vie pour une Russie démocratique et pacifique, a repris en choeur le nom de Navalny au moment de l’arrivée de son cercueil à la tserkov de l’Icône de la Mère de Dieu, puis des slogans plus politiques ont rapidement fusé : “Poutine assassin !”, “Non à la guerre !”, “Les héros ne meurent pas !”, “Les soldats à la maison !”, ou plus métaphysiques : “L’amour est plus fort que la mort !” Ce jour-là le politologue Vladimir Pastoukhov écrivait sur son compte Telegram : “Le potentiel protestataire s’avère nettement supérieure à celui attendu et la société n’est toujours pas apeurée, malgré la terreur. Dans les conditions d’une réelle situation révolutionnaire – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui – tout peut survenir de la manière la plus inattendue dans ce pays”. Et de conclure : “En gros je suis même prêt à comprendre – mais pas à pardonner – les gars du Kremlin, ils ont vraiment de quoi avoir peur” (4). Tout dépend donc de l’évolution de la vague d’énergie qui a surgi dans le pays à l’occasion d’une guerre à laquelle s’oppose une majorité de Russes, qui pourrait bien s’amplifier et aller jusqu’à la réalisation de ce que Navalny appelait de ses voeux. La prochaine étape sera le 17 mars, jour où Navalny convoquait les Russiens à manifester leur opposition au pouvoir en faisant la queue devant les bureaux de vote à midi pétante.

Car “à quoi bon des élections pour Poutine ?” s’interroge le politologue Abbas Galiamov sur son compte Telegram, qui répond : “ces élections lui sont nécessaires pour transférer la responsabilité des crimes qu’il commet lui-même à la nation”. Selon lui, Poutine, et l’AP qui exécute, font le calcul suivant : “Vous pensez que je suis un tyran sanguinaire ? Non, je suis un président élu par le peuple. Tout ce que je fais correspond à ce que veut le peuple. Si les gens étaient contre, ils voteraient contre, mais regardez, ils m’ont soutenu à une majorité écrasante. Vous savez pourquoi ? Parce que j’exprime la volonté collective du pays” (5). Car, “bien sûr Poutine comprend qu’il commet des crimes, et sa seule justification est qu’il est ‘élu par le peuple’. Ôtez lui son mandat populaire et que reste-t-il de lui ? Juste un tueur en série”. D’où le soin particulier apporté au scrutin du 17 mars, et le zèle déployé par l’AP pour écarter les concurrents potentiels, ne laissant concourir que des alibi, tous d’accord avec la guerre. Même le candidat de l’opposition de complaisance “Nouvelles gens”, Vladislav Davankov, qui se déclarait pour un cessez-le-feu, a fini par déclarer qu’il était pour des négociations mais “à nos conditions et sans retour en arrière”, s’alignant sur la position minimale du Kremlin. Le 17 mars prochain les électeurs russiens seront donc face à leur responsabilité : le vote Poutine est un vote pour le crime de masse et le crime contre l’humanité. Il engage donc leur responsabilité collective, comme ce fut le cas des Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale.

Certaines des autres propositions de Davankov pourraient cependant lui attirer des voix, comme la décentralisation et la liberté d’expression, outre que voter pour lui serait retirer des voix à Poutine, tel que le préconisait Navalny, par sa technique électorale du “vote intelligent”. Maxime Katz, l’un des dirigeants de l’opposition de l’extérieur et spécialiste de technologie électorale appelle à voter pour lui. Davankov, non sans arrière pensée, avait d’ailleurs signé pour la candidature de Nadejdine, mais celui-ci n’a pas donné de consigne de vote autre que celle d’aller voter le 17 mars, peu importe l’heure et le choix du vote. Le fait est que le dernier sondage de Russian Field donnait Davankov à la seconde place à 7,4 % des voix, devant le candidat communiste Nikolaï Kharitonov à 6,5 %, tandis que Poutine dans ces conditions serait assuré des 81,8 % planifiés par l’AP (6). L’on peut supposer que Davankov ferait davantage si Nadejdine avait appelé à voter pour lui, et surtout que ce dernier aurait lui-même fait davantage encore si l’AP l’avait laissé concourir, avec un programme nettement opposé à la politique de Poutine et orienté vers la construction d’une Fédération russienne démocratique et pacifique, même si lui aussi proposait un cessez-le-feu et des négociations avec l’Ukraine, mais avec un autre dirigeant que Zelenski.

Âgé de soixante-quinze ans, Kharitonov est d’ailleurs une vieille connaissance de Poutine, lui-même âgé de soixante-et-onze ans, et lui tient en quelque sorte compagnie afin qu’il ne paraisse pas le seul vieillard du scrutin. Ils avaient en effet concouru lors des présidentielles de 2004, où Poutine avait eu un score amélioré à 71,91 % tandis que Kharitonov réduisait celui obtenu par Ziouganov en 2000 de 29,21 % à 13,80 %. Sa candidature rentre d’ailleurs dans les calculs de l’AP. Selon Galiamov en effet, le choix du KPRF s’est porté sur Kharitonov car “le candidat communiste aura un rôle peu enviable dans cette campagne. On ne peut pas rêver ne serait-ce que d’une performance décente. Il s’agit de jouer le jeu du Kremlin de la manière la plus honteuse qui soit”. C’est donc la raison pour laquelle “le parti n’a pas choisi un jeune, ce qui aurait conduit à discréditer la prochaine génération de communistes, faisant ainsi porter la responsabilité de la honte sur les ‘personnes âgées’ et ménager les chances du groupe après leur départ”.

Le fait est que le soutien à la guerre n’est pas unanime dans les rangs communistes. Au mois de janvier, le député communiste à l’assemblée municipale de Perm, Sergueï Medvedev, a été renvoyé du parti et fait l’objet d’une convocation par la police pour avoir publié sur sa page VKontakte un post anti-guerre : “C’est terrible de voir ce qu’est devenue la Russie. Peuple abusé, rendu fou de colère par la haine, réveille-toi ! On t’assassine ! C’est effrayant de voir le monstre qui se tient derrière ça, à nouveau se présenter aux élections. Je veux que la guerre s’arrête ! Je veux voir la Russie se libérer des chaînes de Poutine” (7). Selon lui, au KPRF les décisions sont prises d’en haut et imposées en bas, contrairement au principe du centralisme démocratique. Et à Perm, une ville “millionnaire” de l’Oural (1 027 153 habitants en 2023), “au parti, des partisans de la guerre il n’y en a vraiment pas beaucoup. A l’assemblée municipale il y en a davantage. Pourquoi ? Parce que nous savons qui sont les députés – ce sont pour la plupart des hommes d’affaire, des gens assez riches, qui ont construit leur entreprise dans ce monde, et qui ont pu ainsi n’être pas les derniers dans ce monde. Mais pourquoi donc leur faut-il briser ce monde ? Et bien parce que ce monde, grâce auquel ils sont devenus ce qu’ils sont, maintenant il fait la guerre. Mais tout le monde comprend le caractère destructeur de la guerre, tout le monde comprend parfaitement qu’il s’agit d’un nombre énorme de morts, tout le monde le voit, c’est évident” (8). Aux dernières nouvelles, Sergueï Medvedev, après s’être un temps exilé, n’a reçu qu’une amende de 500 000 roubles, 5000 euros, une somme énorme en Russie, mais la peine est plutôt clémente eu égard aux années de colonie pénitentiaire largement distribuées pour la moindre critique de l'”opération militaire spéciale”.

Concernant la population dans son ensemble, l’ex-candidat Nadejdine a fait procéder à un sondage récent : parmi les 18-29 ans, 50 % sont favorables à des négociations, parmi lesquels 30 % sont pour un arrêt immédiat des combats. Ce chiffre décroît à 46,3 % parmi les 30-44 ans et à 32,3 % chez les 45-59 ans pour remonter ensuite légèrement à 32,5 chez les 60 ans et plus et atteindre 41,2 % pour l’ensemble de la population. Parmi les partisans de la poursuite des combats, de 22 % chez les 18-29 ans à 50,3 % chez les 60 ans et plus, seuls 7,1 % des 18-29 ans et 16,4 % de l’ensemble de la population sont partisans de la poursuite des combats jusqu’à la victoire finale. Reste que près de 25 % de l’ensemble n’avait pas de réponse, ce qui indique la marge de fiabilité des sondages en Fédération russienne, où nombre de sondés ont peur d’exprimer leur véritable opinion (9). Mais concernant leur intérêt pour les prochaines présidentielles, seul 1 % des sondés ont considéré qu’il s’agissait là d’un événement important (10). Quant au taux de confiance à l’égard de Poutine, 65,7 % des 18-29 ans disent lui faire confiance, dont 39,4 % lui font “entièrement confiance”, pourcentage qui atteint 79,6 % des 60 ans et plus qui lui font “entièrement confiance”, auxquels s’ajoutent 12,2 % qui lui font plutôt confiance. Sur l’ensemble de la population, 77,5 % lui font confiance contre 18,2 % de défiance, dont 11,2 % de défiance totale.

Il est impossible de savoir ce que seraient ces chiffres si Nadejdine avait été autorisé à se présenter, et surtout si les élections s’étaient déroulées selon les principes démocratiques du débat contradictoire et de l’égalité d’accès pour chacun des candidats aux chaînes fédérales, exclusivement vouées aux moindres faits et gestes en continu de l’unique candidat Poutine. Mais la réponse se trouve dans les interdictions décidées par l’AP, sa courroie de transmission de la TSIK et l’étroite direction de l’ensemble des médias fédéraux par Alexeï Gromov, vice-président de l’AP et responsable de la presse, qui convoque chaque semaine dans son bureau les directeurs des médias pour leur dicter la ligne éditoriale. Sans compter un système judiciaire entièrement verrouillé, qui veille à sévèrement sanctionner la moindre parole critique. Mais si cela ne suffisait pas, les possibilités de fraudes seront amplifiées par le vote sur trois jours et les bureaux de votes itinérants, comme un coffre de voiture, sans compter les votes des fonctionnaires et des employés des grandes entreprises dont la hiérarchie exige la vérification par envoi des photos des bulletins. Spécialiste des techniques électorales post-soviétiques, Nadejdine confiait récemment au micro de Jivoï Gvozd que selon lui les falsifications ne viendraient pas de l’AP, qui au contraire a intérêt à ce qu’il n’y ait pas de contestations, mais des régions. Chaque gouverneur tient à ce que les résultats de sa région en faveur de Poutine ne soient pas inférieurs à ceux du voisin, et donne des directives en ce sens aux responsables locaux qui à leur tout veillent à ne pas avoir de résultats inférieurs à ceux de leurs voisins. Et si deux ou trois responsables locaux donnent de mauvais résultats, ils sont renvoyés. Selon lui ce ne serait pas le cas partout, car la géographie électorale de la Fédération de Russie est diversifiée : s’il y a des régions où il n’y a aucune falsification, il y en a d’autres où les élections n’existent pas et où ce sont les clans qui choisissent les députés (11).

Le fait est qu’il n’y aura pas de monitoring de ces élections : l’OSCE n’a pas été invitée et le parti des “Nouvelles gens”, représenté à la Douma et qui présente un candidat, a renoncé à son droit d’envoyer des observateurs dans tous les bureaux de vote. Nadejdine et Dountsova ont eux au contraire mobilisé leurs partisans à se porter volontaire pour le faire. Observons enfin que le nombre d’électeurs en Fédération de Russie a augmenté de 5 millions deux cent mille depuis les présidentielles de 2018, qui incluait déjà les habitants de la Crimée, à cause de l’incorporation des autres territoires militairement occupés de l’Ukraine dans le système électoral fédéral, où aucun recensement n’a été effectué et où la situation de la population est inconnue. Le vote anticipé y a cependant démarré dès le 25 février comme l’a communiqué la sociologue spécialiste de la Russie Anna Colin-Lebedev sur son compte X (ex-Twitter), qui s’est déroulé de la façon suivante : “via des urnes mobiles que deux (et dans certaines conditions un) membres de la commission électorale apportent dans les lieux de vote qui peuvent être un bureau improvisé mais aussi un coffre de voiture ou un banc de jardin… L’urne est scellée à la fin de la procédure de vote anticipé le 14 mars, ce qui laisse 20 jours pour y glisser tous les bulletins qu’on veut, vrais ou faux”. Et elle ajoute : “Nous n’avons évidemment aucun doute sur le résultat obtenu dans les territoires occupés. Ni sur les taux de participation qui devront montrer la liesse de la population. Il y aura aussi des images et des témoignages d’électeurs enchantés. Petit détail : les habitants de ces régions n’ont pas besoin d’avoir un passeport russe pour ‘voter'” (12). D’autant plus que depuis l’invasion militaire, le FSB a entrepris les exactions que ses prédécesseurs du NKVD pratiquaient dans les territoires occupés par l’Armée rouge en 1939-1941 puis en 1944-1945, objets d’une épuration politico-ethnique, comme l’ont montré les journalistes et réalisatrices Ksenia Bolchakova et Manon Loizeau dans leur documentaires : “Ukraine – Sur les traces des bourreaux. Enquête sur les crimes de guerre” (13).

Bien que les techniques mises en place dès sa première élection et depuis éprouvées assurent à Poutine une réélection dans un fauteuil, qu’il voudrait impérial, Galiamov observe qu'”en déclenchant une guerre qu’il n’a pas pu gagner et en plongeant le pays dans un état d’hystérie, se muant parfois en dépression et vice-versa, Poutine a détruit le principal argument avec lequel il a réussi à gagner la sympathie de la majorité pendant de nombreuses années : la stabilité. Pendant une longue période les gens savaient ce qu’attendait le pays demain et après-demain. Désormais il ne reste plus qu’à s’en souvenir”. A vouloir décrocher la lune, Poutine a selon lui détruit de ses mains tout ce qu’il avait construit. Dans ces conditions, quelles sont les forces prêtes à offrir une alternative ? Récemment le parti non représenté à la Douma Initiative citoyenne, qui avait présenté la candidature de Nadejdine, Nadejdine lui-même et Dountsova, en cours de constitution d’un nouveau parti, Rassvet (L’Aube), ont envisagé de former une coalition pour présenter des candidats aux élections locales de 2024 et préparer les élections à la Douma d’Etat en septembre 2026. Si cette coalition remportait un nombre suffisant de sièges, ce dont Nadejdine ne semble pas douter, elle serait en mesure de changer la loi électorale qui conduit à empêcher une véritable concurrence. Concernant l’opposition extérieure, avec Ioulia Navalnaïa elle possède selon Galiamov “un puissant potentiel, mais il va lui falloir savoir l’utiliser” (14).

Car bien que Navalnaïa ait une formation universitaire en relations économiques internationales et ait accompagné son mari au cours de toute sa carrière, “elle n’est selon lui, pas venue à la politique, c’est la politique qui est venue à elle”. Mais “si dans une situation de stabilité politique la demande de personnalités ‘anti-politiques’ n’est pas très forte, dans des conditions de crise de confiance – comme c’est le cas actuellement en Russie – elle augmente de beaucoup”. Et il en conclut : “par conséquent, nous pouvons affirmer avec certitude que Ioulia a un potentiel puissant, encore faut-il savoir en disposer”. Le fait est que la fuite en avant du régime Poutine, sa situation de faiblesse qui le pousse à accroître toujours plus la répression, ne lui laissent plus de marge de manoeuvre. C’est son incapacité intrinsèque à la démocratie qui le pousse à la ruine. Au récent forum devant les jeunes talents de Sirius, Peskov, pour une fois sorti des commentaires doucereux des oukazes de son maître, s’est fendu d’un discours où il a déclaré : “Nous ne tolérerons plus les critiques à l’encontre de notre démocratie et les affirmations selon lesquelles elle n’est pas ce qu’elle devrait être. Notre démocratie est la meilleure et nous continuerons à la construire ainsi” (15). Tout est dans cette affirmation : l’isolement autistique, la fuite en avant, et surtout le manque de compréhension de ce qu’est essentiellement la démocratie, l’esprit critique, le débat, la controverse, la capacité à écouter un autre point de vue que le sien de manière à parvenir à une position juste et équilibrée. Bref, la sagesse.

Dont semble désormais dépourvu le chef d’un Etat à la dérive. L’interview qu’il a accordée au journaliste américain Tucker Carlson est à cet égard révélateur. Piqué au vif par la première question du journaliste, qui qualifie le prétexte de l’invasion de l’Ukraine afin de devancer une attaque de la Russie par l’Ukraine avec l’aide US/OTAN de paranoïa, Poutine lui sert une longue dissertation historique qui reprend la leçon négationniste qu’il avait assénée pour justifier sa décision d’agression. Et lorsque Tuskson lui demande pertinemment pourquoi dans ce cas il n’a pas envahi l’Ukraine vingt-quatre ans auparavant, si comme il le prétend l’Ukraine n’existe pas et ne constitue qu’une partie de la Russie, il ne répond pas, et continue imperturbablement sa version mensongère et criminelle, qui le conduit à une guerre génocidaire (16), bien que son interlocuteur lui répète par trois fois la question. Démontrant ainsi son incapacité foncière au dialogue, son autisme et la paranoïa justement diagnostiquée au préalable. Le reste de l’interview va consister à son habituel discours victimaire, faisant de l’OTAN et de “l’Occident collectif” les responsables de la situation de conflit généralisé qu’il a lui-même déclenchée. Son inaptitude à la discussion avait d’ailleurs conduit ses sponsors libéraux à lui conseiller de refuser les débats lors de sa première campagne en mars 2000, prétextant que lui était dans l’action et n’avait pas de temps à perdre. Ce fut désormais la règle à chaque présidentielle. Mais imaginons un instant un débat Poutine-Nadejdine ou Poutine-Iavlinski, nul doute que ce serait l’occasion d’intéressantes révélations.

Et le ridicule discours de deux heures à la Brejnev finissant qu’il a servi en guise de discours électoral à l’Assemblée fédérale la veille des funérailles de Navalny (17), qui l’ont vite fait oublier, outre ses habituelles menaces nucléaires auxquelles le président français Emmanuel Macron a répondu comme il le fallait, n’a jamais consisté qu’en un piteux constat d’échec de ses vingt-quatre longues années au pouvoir. N’a-t-il pas une fois de plus constaté l’état de pauvreté endémique d’une immense partie de la population russienne ? N’a-t-il pas promis une fois de plus, ce qui serait comique si cela ne représentait pas une réelle souffrance pour des millions de foyers, la gazeïfication des localités qui continuent à se chauffer au bois dans la Fédération russienne du XXIème siècle ? N’a-t-il pas promis de pousser des autoroutes et des voies de chemin de fer un peu partout ? Au lieu de cela il transforme l’économie russienne en “économie de guerre”, ce qui lui fait dire qu’elle se porte bien, et même mieux que les économies de “l’Occident collectif”. Laissons pour finir le dernier mot à Iavlinski, qui ne s’est pas présenté cette fois-ci aux présidentielles. Goguenard, commentant les promesses faites par Poutine, il paraphrase ainsi son discours au micro de Jivoï Gvozd : “je vais vous donner de l’argent, vous êtes de pauvres gens”. “Vous vous représentez la somme ? interroge-t-il en rigolant : 16 trillions (milliers de milliards) de roubles ! Qu’il n’y a pas au budget… Ce qui veut dire l’augmentation des impôts, et de l’inflation. Et il n’a pas parlé de l’avenir. Quant aux valeurs traditionnelles, elles ne résident pas dans la séparation des toilettes mais dans le respect de la vie (18)”.

Frédéric Saillot, le 11 mars 2024

(1) Voir de Vitali Manski : “Poutine, l’irrésistible ascension” : https://www.youtube.com/watch?v=Y-_-HmIZvSA&t=0s ainsi que mon interview de Manski : https://www.youtube.com/watch?v=1kQcO0NbBVk&t=1471s
(2) Voir mon article : http://www.eurasiexpress.fr/lultimatum-de-poutine-a-lotan-a-t-il-fait-long-feu/
(3) https://t.me/abbasgallyamovpolitics/4387
(4) https://t.me/v_pastukhov/1000
(5) https://t.me/abbasgallyamovpolitics/4258
(6) https://t.me/SBelkovskiy/26391
(7) https://meduza.io/news/2024/01/15/permskiy-deputat-vystupil-protiv-voyny-i-nazval-putina-chudovischem-ego-isklyuchili-iz-kprf-i-po-nepodtverzhdennym-dannym-smi-ob-yavili-v-rozysk
(8) https://www.currenttime.tv/a/32783427.html
(9) https://t.me/BorisNadezhdin/1094
(10) https://t.me/Ateobreaking/112316
(11) https://www.youtube.com/live/7lU5QMGojBk?si=i1GNsp4X4lcORp5N
(12) https://twitter.com/colinlebedev/status/1761655362376135009
(13) https://www.youtube.com/watch?v=ibzkAXGsh5U
(14) https://pointmedia.io/story/65d6fd7e11f736f7677d3ece
(15) https://www.youtube.com/watch?v=bIwwk5mxDvk
(16) Voir on article : http://www.eurasiexpress.fr/poutine-commet-un-genocide-en-ukraine/
(17) La photo illustrant l’article, représente un militaire russe, spectateur du discours de Poutine à l’Assemblée fédérale.
(18) https://www.youtube.com/watch?v=hzvQPHTSwJ0