Cécile Vaissié, professeure de soviétologie à l’université de Rennes II et idiote inutile

Qui se souvient l’avoir entendue débiter ses discours populistes sur “la Russie de Poutine” ou l’histoire de la dissidence comme une maraîchère fait l’article de ses salades à la criée dans les colloques mondains et/ou universitaires, comme par exemple à la très luxueuse fondation Singer Polignac à l’occasion d’un colloque organisé par l’Institut d’histoire sociale (1), ne sera pas étonné du petit libelle qu’elle vient de faire paraître chez un éditeur improbable, du nom des “Petits Matins”, l’heure où l’on monte son étal au marché.

Elle avait fait une première fois son apparition, venue tout droit de Rennes à cet Institut d’histoire sociale, refondé par Boris Souvarine après la seconde guerre mondiale avec l’aide de la CIA (2), dirigé actuellement par Pierre Rigoulot, jadis maoïste du courant dit des “mao-stals” (pour “maoïstes staliniens”, tendance lourde du maoïsme français), entré en Irak dans les bagages de l’armée américaine en 2003 pour y couvrir la “libération” du pays comme journaliste “embedded”, une opération de la stratégie néocon post-11 septembre. Ce soir-là Cécile Vaissié prenait la parole quelques mois avant les élections à la Douma russe de décembre 2011, suivies des présidentielles de mars 2012. Après avoir brossé un déjà sombre tableau de la Russie, dirigée selon elle par des cleptocrates détournant les rentes des matières premières constituant l’unique ressource du pays et imposant une dictature post-totalitaire à une population réduite au silence et à la misère, elle avait pris un ton de sybille de tréteaux pour nous annoncer qu’on allait voir ce qu’on allait voir, que ce n’était plus possible, que le peuple russe allait se révolter et entrer à nouveau dans l’histoire pour réaliser de grandes choses. Elle nous affirmait être en relation avec beaucoup de monde et lire un nombre invraisemblable de publications et de sites internet, elle en était sûre, c’était pour bientôt, et pour un peu elle nous emmenait en voyage organisé assister en direct à cette geste grandiose, qui allait à nouveau embraser la Russie. Et pour finir, elle nous avait alertés : “Vous allez voir, le déclenchement de ces événements aura peut-être lieu à Kaliningrad, où la colère gronde depuis nombre d’années, oui, Kaliningrad, vous vous souviendrez alors de ce que je vous ai dit ce soir”.

Quelques mois après en effet, appelées par Clinton, qui dès avant le scrutin avait dénoncé des fraudes massives, eurent lieu les manifestations de la jeunesse bobo de Moscou et de Saint-Pétersbourg, relayées en province en direct par le réseau de CNN utilisant de jeunes “correspondants” russes américanophones pour attiser/coordonner la mobilisation. Elles culmineront le 6 mai 2012 au centre de Moscou, place Bolotnaïa, où quelques jeunes-gens énervés agresseront les forces de l’ordre en compagnie de nervis rouge-orange-bruns visiblement préparés et mettant en oeuvre une stratégie de la tension. Quelques temps après, NTV diffusera une vidéo, “Anatomie d’une protestation – 2” (3) révélant les dessous de ces manifestations, orchestrées notamment par Sergueï Oudaltsov, dirigeant d’un Front de gauche principal vecteur de cette stratégie, dont Vaissié nous avait dit ce soir-là tout le bien qu’elle pensait de ce “démocrate”. Cette vidéo montre notamment une rencontre filmée en caméra cachée, entre Oudaltsov, accompagné de deux comparses, et Givi Targamadzé, député géorgien ex-conseiller de défense-sécurité de Saakachvili et spécialiste des révolutions de couleur, pour mettre au point cette stratégie de la tension avec un financement à hauteur de 200 millions de dollars réunis par André Borodine, l’ex-banquier de Loujkov, et les oligarques réfugiés à Londres, dont Berezovski (4). Y sont discutés des objectifs stratégiques : Targamadzé propose un putsch à Kaliningrad, enclave isolée en territoire de l’OTAN, ce qui empêcherait la Russie d’y intervenir.

Mais revenons à son libelle, qui intervient dans la perspective des échéances législatives russes de septembre et surtout des présidentielles de 2018 : Vaissié y répondrait-elle à la demande des services américains ? En effet un article du Telegraph du 16 janvier dernier, révèle que les services secrets américains ont reçu pour mission de “conduire une investigation de la plus haute importance sur la façon dont le Kremlin infiltre l’Union européenne”. L’on pourrait en douter tant cette pénible énumération de tout ce que la société française pourrait compter de “réseaux” à la solde du “Kremlin” ressemble à un rapport d’inspecteur des RG de province, mais c’est peut-être là surestimer le niveau de recrutement des dits services. A moins qu’il ne s’agisse de l’initiative personnelle de cette idiote utile, qui, par son incompétence, son manque de scientificité et sa subjectivité, et surtout son manque d’informations fiables, dont le mensonge avéré tient parfois lieu, s’avère non seulement inutile mais le déshonneur de l’université française.

En effet, sur quoi reposent ses allégations ? Sur l’existence de réseaux stipendiés constitués notamment par la descendance de l’émigration blanche, alliée en l’occurrence à des “tchékistes orthodoxes”, jouant le rôle d’agents d’influence dans cette “infiltration”, et par des associations comme le Forum des Russes de France ou l’association du Dialogue franco-russe, regroupant un certains nombre de grandes entreprises françaises et russes, tout ce petit monde se réunissant régulièrement à l’ambassade de la Fédération de Russie où, phantasme d’adolescente qui a trop lu de mauvais romans, le caviar serait “servi à la louche” et le champagne “coule(rait) à flot”.

Pour étayer son propos, Vaissié va particulièrement s’acharner sur une lettre/pétition écrite par Dimitri et Tamara Schakhovskoy, publiée sur le site de Russky Most (le Pont russe) le 26 novembre 2014 (5), au plus fort des combats entre les unités de l’opération antiterroriste envoyées par Kiev et la résistance du Donbass, et signée par nombre de descendants de cette émigration, mais pas seulement. Elle prétend que cette lettre est une “lettre collective de soutien au Kremlin et à la politique menée par celui-ci en Ukraine”, qu’elle “suscite un certain nombre de questions notamment parce qu’elle désigne un coupable – les autorités de Kiev – et une victime de calomnies – le Kremlin”, faisant état de critiques publiques, “y compris d’autres descendants de cette émigration blanche” – qu’elle cite plus loin et que l’on peut compter sur les doigts d’une main, et encore pas tous – parmi lesquels – et là on observe l’un des procédés utilisés par cette brillante universitaire : le ragot calomniateur insinuant la rumeur – “certains glisseront que ‘Shakhovskoy a toujours été l’ami du pouvoir soviétique (sic) (6)’ –  alors que la plupart des émigrés blancs honnissaient ce pouvoir qui les avait chassés de Russie et avait massacré une partie des leurs”.

Or cette lettre/pétition déclare explicitement : “Nous ne renonçons en rien à la défense des valeurs transmises par nos familles contraintes à l’exil après la révolution de 1917, ni à la dénonciation des crimes des bolcheviks et de leurs successeurs, ni à la promotion de la vérité historique sur ces années terribles”. Elle dénonce en effet une information présentant dans sa très grande majorité les événements d’Ukraine uniquement en faveur de Kiev, mais ce n’est pas pour défendre “le Kremlin”, mais la Russie : “Devant l’aggravation des tensions, dans le Donbass comme dans les relations internationales, une conclusion s’impose : l’hostilité agressive déployée aujourd’hui contre la Russie n’a rien de rationnel. La politique du « deux poids, deux mesures » a dépassé toutes les bornes. La Russie est accusée de tous les crimes, sans preuve, coupable a priori, tandis que d’autres pays bénéficient d’une indulgence particulièrement révoltante, au regard des droits de l’homme notamment”. Car en effet, cette attitude favorable à Kiev se double d’un silence sur les exactions commises, qui alors s’apparentent à un processus génocidaire : “Nous ne pouvons pas non plus tolérer le honteux silence officiel et médiatique des pays européens sur les terribles bombardements de populations et d’infrastructures civiles effectués par l’armée ukrainienne dans le Donbass, soutenue par des milices arborant une symbolique nazie”, ce que reconnaît Vaissié, pour qui cependant “les autorités de Kiev” ne seraient pas “exclusivement en cause”.

Mais en dénonçant le soutien qu’elle apporterait au “Kremlin”, elle donne à sa lecture de la pétition une autre fonction, tentant de réaliser une opération de désinformation d’une naïveté et d’une maladresse consternantes, utilisant pour cela des procédés indignes d’une universitaire. En effet selon elle cette pétition “soutient le Kremlin en inversant agresseur et agressé, et elle s’inclut ainsi, à sa façon, dans la campagne de communication souhaitée par les auteurs du plan évoqué”. De quoi s’agit-il ? Peu de temps avant le coup d’Etat de Kiev – à vrai dire un putsch – du 22 février 2014, un “projet qui planifie l’annexion des territoires orientaux de l’Ukraine par la Russie (…) aurait été déposé à l’administration présidentielle russe entre le 4 et le 12 février 2014″, projet dévoilé par la Novaïa Gazeta le 24 février 2014, soit deux jours après le putsch. Vaissié en tire la conclusion que ce qu’elle appelle l'”annexion” de la Crimée et la “guerre russo-ukrainienne” déclenchée selon elle par la Russie dans le Donbass étaient planifiées à l’avance et non pas la réaction des Criméens et des habitants du Donbass face à un putsch installant à Kiev un pouvoir les menaçant dans leurs droits et leur existence d’Ukrainiens russophones.

Or le président Obama lui-même, s’il ignore lui aussi les populations de Crimée et du Donbass, ce qui en dit long sur son souci des “valeurs démocratiques” et des “droits de l’homme”, balaie d’un revers de la main ce soupçon de plan secret russe en avouant avec cynisme et non sans une certaine vantardise, au cours d’une interview à CNN le 1er février 2015 (7), le rôle des Etats-Unis dans le coup d’Etat de Kiev : “Monsieur Poutine a pris sa décision concernant la Crimée et l’Ukraine non pas en fonction de je ne sais quelle grandiose stratégie, mais essentiellement parce qu’il a été pris au dépourvu par les manifestations du Maïdan et la fuite de Yanoukovitch  après que nous ayons facilité la transition du pouvoir en Ukraine”. On appréciera l’euphémisme utilisé par Obama, en tout cas celui-ci rétablit l’ordre des préséances dans les rôles de l’agresseur et de l’agressé que voudrait naïvement inverser Vaissié.

Qu’il y ait eu un projet pondu par l’un des conseiller de la présidence russe pour envisager des solutions répondant au mécontentement et aux inquiétudes, réelles, des populations ukrainiennes russophones alors que le gouvernement Yanoukovitch perdait du terrain et que le coup d’Etat, que tous les observateurs voyaient arriver, était imminent, quoi de plus politiquement normal ? L’enjeu était le maintien des relations de l’Ukraine avec le pôle d’intégration eurasiatique, ce que les accords de Minsk II ont fini par concéder, alors que le Maïdan, dirigé et financé par l’ambassade américaine à Kiev, avec la participation active de membres de l’Union européenne fortement investis dans le partenariat oriental, faisait la démonstration d’une volonté de rupture violente avec la Russie. Ce projet qui témoigne d’une bonne connaissance des dessous de la politique ukrainienne, chose que Vaissié ne mentionne pas, pourrait d’ailleurs bien avoir été rédigé entre les tirs du Maïdan le 20 février – au moment même où le “groupe de Weimar” discute avec Yanoukovitch les termes d’un accord avec l’opposition (8) – du haut d’immeubles occupés par les activistes, qui ont fait plusieurs dizaines de morts et déclenché le coup d’Etat le surlendemain 22 février, alors que Yanoukovitch, dont la vie était menacée, était en fuite, sans que cela ait jamais fait l’objet d’aucune enquête sérieuse. En effet, à la fin de son troisième point le projet précise : “Les événements en cours à Kiev démontrent avec certitude que le maintien de Yanoukovitch au pouvoir peut prendre fin d’un moment à l’autre. Dans ce cas, les délais pour une réaction appropriée de la Russie s’avèrent toujours plus réduits. La quantité de morts dans les désordres de la capitale ukrainienne témoigne crûment de l’imminence d’une guerre civile et de l’impossibilité de trouver un consensus pour le maintien de Yanoukovitch au poste de président” (9).

Guerre civile dans le Donbass que Vaissié s’efforce de nier en parlant de “guerre russo-ukrainienne”, reprenant la propagande de Kiev qui parle d'”agression russe”, propagande qui permet de couvrir une opération d’épuration ethnique menée par des bataillons animés d’une idéologie néo-nazie, comme l’a bien montré Paul Moreira dans son documentaire, Ukraine, les masques de la révolution, que Vaissié cite d’ailleurs sans commentaires. Pour cela elle cite un certain nombre d’articles de presse, sans préciser les liens internet dans des notes de bas de page utilisant une retranscription latine du cyrillique, qui “fait scientifique” mais ne facilite pas la vérification. Pour étayer ses dires, elle met en cause deux acteurs de l’insurrection du Donbass, de nationalité russe, Igor Strelkov, pseudonyme d’Igor Guirkine, et Alexandre Borodaï, l’un dirigeant la résistance armée à Slaviansk, l’autre la République populaire de Donetsk (DNR) à ses débuts, qu’elle prétend être des officiers du FSB en mission.

Concernant le premier, elle cite son interview dans Zavtra du 20 novembre 2014, selon lequel, d’après elle, “sans lui et ses troupes le conflit dans le Donbass ne serait jamais devenu une confrontation militaire” et les propos que Stelkov aurait tenu “(q)uelques mois plus tard, (…) confirm(ant) que la DNR et la LNR ((R)épublique populaire de Lougansk) ont été ‘implantées avec l’aide du Kremlin’ et que ‘c’est inutile de le nier'”. Or que dit Strelkov dans Zavtra ? Après les premières tentatives de “nettoyage” du SBU (Service de sécurité ukrainien passé sous commandement  de l’agent de la CIA Valentin Nalivaitchenko après le coup d’Etat) et du Pravy Sektor en mai, “quand ils ont compris que la Russie ne réagirait pas, les bombardements (de Slaviansk) sont devenus toujours plus intenses, avec l’intervention des tanks et de l’aviation, toujours plus massifs” au mois de juin (10). Ensuite, “les bataillons de la garde nationale se sont mis à arriver sur le terrain des combats. Ils étaient convaincus d’avance : ils considéraient l’adversaire, c’est-à-dire nous, comme des mercenaires moscovites. Ils étaient persuadés que nous avions été envoyés de Russie. Et ils n’arrivaient pas à croire que de notre côté, à Slaviansk, 90% étaient des gens du coin, des gens du Donbass”. Et concernant les propos qu’il a tenus quelques mois plus tard, que Vaissié falsifie en reprenant le titre déformant que lui donne un site pro-Kiev, alors que si l’on écoute la vidéo, Strelkov déclare : “ils étaient partis défendre le monde russe, et ils ont été obligés de défendre des régimes implantés avec le concours du Kremlin, il est inutile de le nier” (11). Dans quel sens dit-il cela début juin 2015, neuf mois après Minsk 1, qui a stoppé l’offensive sur Marioupol, et 3 mois après Minsk 2 ? Il faut savoir que les Républiques de DNR et LNR sont des compromis politiques qui ont permis ces accords et les négociations qu’ils ont ouvertes, alors que d’autres acteurs du conflit, dont Strelkov, voulaient aller plus loin dans la conquête militaire et le statut de ces Républiques. Le Kremlin n’est donc pas tant accusé par lui d’avoir constitué ces Républiques, que d’être intervenu dans leur constitution pour en limiter le potentiel.

Quant au second intervenant dans l’insurrection de la population du Donbass, Alexandre Borodaï, Vaissié cite des propos qu’il aurait tenus le 27 août dernier alors qu’il n’est plus dans le Donbass depuis Minsk 1, rapportés par le site Ukraine Today (12), qui lui même citait les propos de Borodaï rapportés indirectement par le site Gazeta.ru (13). Selon elle Borodaï “estime que trente mille à cinquante mille ‘volontaires’ ont participé à la guerre en Ukraine depuis que celle-ci a commencé, et que plus de deux mille ont été tués”. Si ce chiffre s’avère vraisemblable, encore que Gazeta.ru évoque des “milliers de blessés” et non pas “2000 morts”, tant les combats ont été rudes et coûteux en vies humaines, notamment du côté de Kiev, sur quoi la lumière reste à faire, il ne constitue cependant pas une preuve d’une intervention de l’armée russe en tant que telle dans le Donbass, démentie d’ailleurs par le chef d’Etat-major de l’armée ukrainienne. Mais cela n’empêche pas Vaissié de prétendre qu'”il faudra attendre le 17 décembre 2015 pour que Poutine reconnaisse enfin la présence de militaires russes ‘effectuant certaines missions’ dans le Donbass”, en citant le Guardian, alors qu’il lui suffisait de lire la conférence de presse donnée ce jour-là par le président russe sur le site du Kremlin où il a déclaré : “Nous n’avons jamais dit qu’il n’y avait pas là-bas de gens qui s’occupent de questions particulières, notamment dans le domaine militaire, mais cela ne veut pas dire qu’il y a là-bas des détachements réguliers de l’armée russe. Faites la différence” (14). Des volontaires donc, dont certains sont originaires du Donbass et y ont leur famille, quand les relations transfrontalières sont constantes, et ce sont souvent des volontaires humanitaire (15). Au début du conflit, alors qu’il était dans le Donbass, Borodaï avait d’ailleurs donné quelques précisions à ce sujet, dans une interview à la Kosomolskaïa Pravda : “Combien d’hommes combattent actuellement pour la DNR ?
– De quatre à cinq mille personnes.
– Parmi elles, combien y a-t-il de citoyens russes ?
– Quelques centaines. Y compris venant de Vladivostok et des villes de Sibérie orientale.
– Et du Caucase Nord, en particulier de Tchétchénie ?
– Il y en a une certaine quantité, pas tant que cela. Des dizaines d’individus, mais en réalité ils sont loin d’être seulement tchétchènes, il y en a d’autres ethnies. C’est si vous voulez une sorte d’internationale antifasciste qui maintenant se rassemble sur le territoire de la DNR” (16). Mais l’entretien avait également porté sur les mercenaires étrangers du côté de Kiev : “Nous avons entendu des conversations en anglais dans les transmissions. Nous avons trouvé des listings lors de la prise de l’aéroport. Des personnes inscrites pour le ravitaillement étaient à l’évidence d’origine étrangère, si l’on en juge par les noms anglo-saxons. Difficile de savoir s’il s’agit d’Anglais ou d’Américains. Parmi eux il y a des snipers, et des bons. Par les inscriptions et le maniement des armes on peut très facilement déterminer la présence d’étrangers. Ce ne sont manifestement pas des combattants ukrainiens. Kiev peut tout-à-fait engager des compagnies privées étrangères. Je ne parle pas d’ingérence d’Etats étrangers. Le marché mondial de ce genre de spécialistes est grand. Et en plus, les combattants ukrainiens eux-mêmes le confirment également. On a des contacts avec eux, des relations communes. Du côté de la DNR il y a des combattants qui ont terminé l’école de guerre ukrainienne, qui ont servi dans les rangs des forces armées ukrainiennes. Des contacts ont lieu entre nos gars et nos adversaires”. Sans compter, selon les témoignages de la résistance du Donbass, les nombreux mercenaires venus de Pologne, pays membre de l’OTAN et de l’Union européenne.

En essayant de travestir la réelle guerre civile dans le Donbass en agression de l’armée russe, Vaissié fait donc de la désinformation, s’efforçant de traquer la désinformation qui serait celle de l’autre côté. Pour cela, elle n’a trouvé qu’un seul élément qu’elle répète à satiété de façon obsessionnelle : le témoignage d’une réfugiée de Slaviansk, elle-même originaire de l’ouest de l’Ukraine, recueilli par la première chaîne de télévision russe, Pierviy kanal. L’interview a lieu dans un camp de toile où s’entassent ceux qui fuient les bombardements et les exactions des bataillons néo-nazis, à un moment où les forces de Kiev sont à l’offensive, au printemps 2014, en direction de Donetsk et le long de la frontière avec la Russie, avant de connaître la débâcle que l’on sait. Elle dit avoir vu un enfant crucifié sous les yeux de sa mère, sur la grande place de Slaviansk, où ont été réunis les habitants après la prise de la ville par les forces de Kiev. Ce témoignage, dans le contexte des exactions réelles commises par celles-ci, est diffusé par la chaîne de télévision. Qui, devant la campagne de presse de l’opposition russe, apportera un démenti le 21 décembre 2014, tout en montrant ce qui dans le contexte a pu laisser croire à la vraisemblance de ce témoignage (17). Cet enfumage, vraisemblablement involontaire, va permettre à Vaissié de réaliser le sien en niant les exactions du régime de Kiev ou en les passant sous silence : les incitations à la délation, les arrestations de “séparatistes”, les détentions arbitraires, les tortures et les exécutions sommaires, les assassinats de politiques et de journalistes, comme celui d’Oles Bouzina, les bombardements délibérés des populations et des infrastructures civiles, ceux des colonnes de réfugiés, à quoi il faut ajouter le massacre d’Odessa le 2 mai 2014, celui de Marioupol le 9 mai, et l’abattage de l’avion de la Malaysia airlines le 17 juillet, qui a fait 298 morts, dont l’Etat-major russe, et la résistance du Donbass, ont apporté les preuves qu’il était le fait des forces de Kiev.

Il reste à se demander quelle fonction occupe l’opération de désinformation réalisée par Vaissié, et pour le compte de qui il est réalisé. A un moment crucial dans les relations internationales, alors qu’il s’agit de définir un nouvel ordre mondial dans le cadre de la perte de leadership des Etats occidentaux et de la montée en puissance des Etats du BRICS, alors que des échéances décisives vont avoir lieu avec les élections présidentielles américaines de 2016, les élections législatives russes de septembre 2016 et les présidentielles de 2018, ainsi que les législatives et les présidentielles françaises du printemps 2017, sans compter le Traité transatlantique en cours de négociation dans le plus grande secret, il s’agit de donner un tour supplémentaire dans la guerre hybride que les Etats-Unis et leurs alliés ont engagés contre la Russie. Depuis la première élections du président Poutine, lorsqu’il a été clair que celui-ci allait engager une politique d’indépendance nationale et oeuvrer à l’émergence d’un monde multipolaire contestant l’exception américaine et fondé sur le respect du droit international, la Russie est en effet redevenue l’objet d’une guerre hybride utilisant tous les moyens pour changer le cours de sa politique : l’encerclement, et celui de la Chine, par un réseau de bases militaires, le bouclier anti-missile menaçant leur sécurité, une industrie médiatique pratiquant une désinformation systématique sur la Russie, l’infiltration en Russie et dans l’espace de l’ex-URSS de nombreuses ONG financées par l’Etat américain ou de riches fondations américaines afin de créer des oppositions et susciter des “révolutions de couleur”, les sanctions économiques à l’occasion de la crise ukrainienne et enfin l’aide au développement de réseaux terroristes à destination des régions musulmanes de Russie, de Chine et des Etats d’ex-URSS.

Dans ce contexte général, la France occupe une place particulière : elle connaît une crise sans précédent qui pourrait déboucher sur l’élection de Marine Le Pen au printemps 2017 et la venue au pouvoir d’un gouvernement patriote partageant nombre de vues politiques et stratégiques avec le pouvoir russe, mais également porteur de propositions de ruptures décisives que celui-ci ne partage pas forcément : la refondation de l’Union européenne sur la base d’une Union des nations européennes et la sortie de l’euro. D’où la reprise par Vaissié, qui ne s’arrête pas à ces détails, car elle ne fait pas de politique mais de la dénonciation, d’une accusation dont le Front national a fait justice : celle d’un financement par une banque russe alors qu’il s’agit d’un prêt, les banques françaises refusant de financer un parti légal, comme elles font de l'”overcompliance” concernant tout ce qui est lié à la Russie, entreprises comme particuliers. Elle dénonce un Front national “financé par Moscou” comme l’on dénonçait jadis le parti communiste français à l’époque de la guerre froide. Et elle dénonce tous les réseaux de la nouvelle internationale qui aurait été mise en place par le Kremlin avec son unique fondation : Russkiy Mir (le Monde russe), trois fondations privées : la Fondation Saint-André-le-premier-appelé, le Centre de la Gloire nationale et la Fondation Saint-Basile-le-grand, et avec une unique ONG : l’Institut pour le démocratie et la coopération, ce qui est bien peu en comparaison de la force de frappe du soft-power américain.

Il faut d’ailleurs attendre la fin de son libelle pour trouver les raisons de la boulimie avec laquelle Vaissié accumule les fiches de dénonciations calomniatrices au fil des pages : la Russie n’aurait pas le droit d’utiliser le soft-power, concept américain, pour défendre son image et sa politique dans le monde, au prétexte que ce ne serait pas un “pouvoir comme les autres”. Dès lors, la criminalisation  de ce pouvoir entraîne la criminalisation de tous ceux qui trouvent un accord avec lui sur nombre de sujets, comme par exemple la crise en Ukraine, la guerre en Syrie ou la nécessité d’une coopération continentale entre l’Europe de l’ouest et la Russie, ou bien encore, sujet brûlant, une alliance avec la Russie pour lutter contre le terrorisme islamiste. Une Russie qui a apporté la preuve que l’on pouvait le combattre avec courage et efficacité en Syrie, alors que toute la campagne politico-médiatique occidentale visait à accréditer l’idée qu’il était impossible de le combattre et qu’il était durablement installé dans son “califat” entre la Syrie et l’Irak. Le meilleur symbole de cette duplicité et de cette lâcheté occidentales, ce sont les colonnes de pick-up de l’Etat islamique traversant le désert syrien pour prendre Palmyre au printemps 2015, sans que l’aviation de la “coalition” occidentale ne l’en empêche alors qu’il était possible de l’anéantir. Palmyre qui vient d’être libérée grâce à l’intervention russe effectuant une opération aérienne elle d’une efficacité décisive, en appui à l’intervention au sol de l’armée et de la résistance syriennes.

Mais à l’heure où un dialogue semble se renouer entre Occidentaux et Russes, notamment grâce au dialogue diplomatique entre le ministre Lavrov et le Secrétaire d’Etat Kerry, et où un effort semble être entrepris pour trouver des solutions viables avec les négociations sur l’Ukraine à Minsk 2 et sur la Syrie à Genève 3, et alors que Raqqa s’apprêterait d’être libérée conjointement par les forces appuyées par les Russes et les Américains, Vaissié poursuit ses obsessions dans un décalage dont l’on se demande s’il s’agit d’une initiative personnelle ou si elle répond à la commande de certains secteurs de l’Etat américain qui poussent au conflit. Alors que la campagne de dénonciation maccarthyste de Libération, du Monde et du Nouvel Observateur de l’automne 2014 semblait avoir fait long feu, voilà qu’elle remet ça avec un ensemble de fiches mises à jour, se prévalant de sa notoriété de professeure de soviétologie à l’université de Rennes 2, afin d’alimenter une nouvelle campagne de presse et de répression professionnelle en attendant mieux en cas d’aggravation du conflit. Ne doutons cependant pas que les éventuels lecteurs de cette navrante compilation ne soient pas dupes des prétentions de cette idiote, dès lors inutile.

Frédéric Saillot, le 1er avril 2016.

(1) http://www.singer-polignac.org/fr/missions/557. Voir au sujet de ce colloque mon article dans B.I. n° 182 de décembre 2012
(2) Patrick Pesnot, La Face cachée des Etats-Unis, éditions du Nouveau Monde, 2012.
(3) Voir mon article cité en note (1)
(4) Voir à ce sujet : https://www.youtube.com/watch?v=3az9MmyiXOA
(5) http://www.russkymost.net/spip.php?article70
(6) Ce “(sic)” est de Vaissié.
(7) https://www.rt.com/files/opinionpost/37/c1/b0/00/2530092_obana_new.mp4
(8) Voir mon article dans B.I. n° 197 d’avril 2014
(9) http://www.novayagazeta.ru/politics/67389.html
(10) http://zavtra.ru/content/view/kto-tyi-strelok/
(11) http://news.bigmir.net/ukraine/905447-Girkin–DNR-i-LNR-sozdal-Kreml—otricat–eto—stroit–debila
(12) http://uatoday.tv/news/30-000-50-000-russians-have-participated-in-the-war-in-ukraine-former-militant-leader-482833.html
(13) http://www.gazeta.ru/politics/news/2015/08/27/n_7519115.shtml
(14) http://kremlin.ru/events/president/news/50971
(15) Voir à ce sujet l’interview de Zakhar Prilépine : https://www.youtube.com/watch?v=ywsPXhIUWjs
(16) https://www.facebook.com/permalink.php?story_fbid=1705662352991645&id=1705376976353516&substory_index=0
(17) http://www.1tv.ru/news/about/274369