Tension en Europe : la nouvelle doctrine étrangère de Vladimir Poutine

La presse américaine a dernièrement évoqué d’importantes concentrations de troupes russes massées à la frontière ukrainienne, qui pourraient passer à l’offensive l’hiver prochain. De leur côté les médias fédéraux russes font état d’envoi à Kiev de missiles sol-air Javelins – qui remettraient en cause la supériorité aérienne de Moscou en cas de conflit – et de conseillers militaires américains. Quant à elle la Turquie aurait livré à l’Ukraine des drones de combat Bayraktar TB2, dont l'”efficacité” a été prouvée lors des récents affrontements au Karabakh. Bien que le porte-parole du Kremlin et certains experts se veuillent rassurants, l’on peut se demander si l’impasse dans lesquels se trouvent les accords de Minsk sur le règlement du conflit du Donbass, doublée de l’instrumentalisation des flux migratoires à la frontière polono-biélorusse et de la présence accrue de l’OTAN dans l’espace aérien, maritime et terrestre limitrophe de la Fédération de Russie, ne vont pas finir par provoquer un conflit majeur. D’autant plus que tout cela s’inscrit dans le contexte d’un basculement des forces au plan international, provoqué par l’échec final des stratégies néo-conservatrices d’exportation armée de la démocratie libérale, et autres “interventions humanitaires”, dans la perspective d’une gouvernance mondiale, dont certains voudraient tirer les marrons du feu.

Dans la dernière livraison du Club de Valdaï, sous l’intitulé “Bouleversement mondial au XXIème siècle”, le président Poutine s’est attaché le 21 octobre dernier à définir les orientations stratégiques de la Fédération de Russie dans le cadre de ce qu’il nomme des “transformations grandioses” (1). Citant à dessein la transcription ambiguë du mot “crise” en chinois par deux idéogrammes, l’un représentant le danger l’autre la possibilité, il déclare que s’il faut faire face au premier, il convient de mettre à profit la seconde. Définissant la crise actuelle comme une crise de civilisation, il emboîte le pas à la théorie huntingtonienne du choc des civilisations, selon laquelle la fin de la confrontation entre les deux blocs capitaliste et communiste voici trente ans, dans le cadre d’un monde bipolaire, a donné lieu à un monde multipolaire où la politique et l’idéologie seraient remplacées par ces nouveaux vecteurs de conflit que seraient la langue, la culture et la religion.

Mais en adhérant à cette nouvelle idéologie dans un cadre nouveau, Poutine semble chercher à perpétuer sous d’autres oripeaux une bi-polarité entre pays “à valeurs traditionnelles” et pays libéraux, qui seraient en proie à une dictature des minorités les remettant en cause. Ce qui lui permettrait de prendre une revanche sur la défaite de l’URSS dans la guerre froide, suivie de son démantèlement, dont il ne s’est jamais remis, et qu’il a qualifié de “plus grande catastrophe géopolitique du XXème siècle”. Revanche dans laquelle il prendrait la tête d’une nouvelle internationale des revanchards, avec la République populaire de Chine, lesquels ont pour trait commun d’être des dictatures, reprenant ainsi le rôle phare de l’URSS comme guide des opprimés et des damnés de la terre. Ce faisant, sous l’habillage des “valeurs traditionnelles” et de la remise en cause de ces valeurs par des franges radicales “woke” ou “décoloniales” dans les sociétés occidentales, et principalement américaine et canadienne, il justifierait l’interruption du cours de la démocratisation entamé par la Russie en 1991, jetant ainsi “le bébé avec l’eau du bain”, dont il a sifflé la fin de partie dès 2000 par la mainmise sur la presse. Ce qu’il parachève actuellement par la répression de la presse libre en ligne sous le vocable arbitraire d'”agent de l’étranger”, et l’anéantissement de l’opposition.

D’autant plus qu’il mâtine son néo-huntingtonisme de vieilles rengaines marxistes sur la “crise finale du capitalisme” : “tout le monde dit que le modèle actuel de capitalisme – et c’est aujourd’hui la base de l’ordre social dans la majorité écrasante des pays – s’est épuisé, et que dans son cadre il n’y a plus de solution à l’écheveau de contradictions toujours plus enchevêtrées”. De sorte que selon lui “la domination de l’Occident dans les affaires du monde, débutée il y a quelques siècles, et devenue presque absolue pour une courte période à la fin du XXème siècle, laisse la place à un système beaucoup plus varié”. Il rappelle ensuite que tout nouvelle organisation du monde ne peut avoir lieu que sur la base d’un conflit majeur et de ses conséquences, comme celle qui a succédé à Yalta. Aujourd’hui, elle est le résultat de vingt années de guerre menées par les USA et ses alliés, et de leur échec à imposer leur domination, dernièrement sanctionné par la prise de Kaboul par les terroristes islamistes talibans. Dès lors, il pose les fondements du nouveau système international dont il se voudrait le promoteur.

En premier lieu la structure de base du nouvel ordre international devrait être l’Etat souverain, comme l’a démontré la crise du Covid, et ce contrairement aux allégations sur le caractère obsolète de cette structure ainsi que des frontières dans le cadre desquelles il exerce ses prérogatives. Car il n’y a, selon Poutine, pas de valeurs universelles qui puissent être au principe de structures politico-sociales communes. La seule qu’il reconnaisse est la vie humaine, que “chaque Etat décide de défendre en toute indépendance, selon ses possibilités, sa culture et ses traditions”. Autrement dit l’Etat poutinien peut anéantir toute opposition interne et les talibans imposer chez eux un totalitarisme religieux d’un autre âge, charbonnier est maître chez soi. Ensuite il pose comme axiome que toute résolution de la crise actuelle de l’ordre international ne peut pas passer par ce qu’il nomme une “révolution”, tirant un trait d’équivalence erroné entre 1917 et 1991, alors que 1991 a constitué un tentative de sortie du totalitarisme instauré en 1917, à laquelle il a mis fin, regrettant “qu’un Etat potentiellement (sic) très puissant n’ait pas emprunté à temps la voie de réformes souples mais nécessairement réfléchies, se défaisant, victime des dogmatiques de différentes orientations”. Laissant ainsi entendre que l’URSS aurait dû suivre la voie de la Chine communiste, qui se trouve actuellement son guide dans l’effort de restauration de la puissance perdue. Il justifie ainsi l’anéantissement de l’opposition comme continuatrice revendiquée de 1991, contre quoi s’exerce la contre-révolution qu’il a systématiquement organisée, nommée par certains “la revanche des tchékistes”, qui avaient alors vu le pouvoir qu’ils détenaient depuis 1917 leur échapper.

Le trait d’équivalence entre 1917 et 1991, permet ensuite à Poutine d’inférer une troisième caractéristique du nouvel ordre mondial tel qu’il l’entend, opposable à celui que l’Occident a selon lui échoué à imposer : celui des “valeurs traditionnelles” propres à chaque culture. Il est difficile de savoir ce qu’il entend par cette opposition : la nécessité d’une maturation des différentes cultures pour parvenir à l’exercice des libertés fondamentales, progressivement interdites de fait en Fédération de Russie, et à la primauté du droit sur l’arbitraire ? Le fait est qu’il caricature l’opposition entre ces “valeurs traditionnelles” et les errements du progressisme en Occident, dont la société russe aurait été vaccinée par la politique bolchévique en matière politique et sociale, ce qui lui permet d’oublier que les libertés fondamentales et la primauté du droit restent les socles des sociétés occidentales, certes contestés par les billevesées du “wokisme”, qui restent cependant le fait de franges marginales, même si influentes. Et d’oublier que la Fédération de Russie est elle même traversée par le progressisme technique et idéologique : y existent en toute légalité les mères porteuses et le mariage homosexuel, dont le chanteur très populaire à la télévision fédérale Sergueï Lazarev, représentant la Fédération de Russie à l’Eurovision 2016, est un porte-flambeau notoire.

Enfin, s’il concède que les défis auxquels doit faire face le monde contemporain nécessite une “solidarité internationale étroite”, Poutine récuse la “résolution globale de problèmes globaux”, non sanctionnée par les peuples, car obtenue par une subsidiarité ôtant aux Etats certaines de leurs prérogatives souveraines. Il oppose donc au globalisme, qui n’a été que le faux nez de l’unilatéralisme, le multilatéralisme dans le cadre de l’ONU qui, “précisément dans le monde mouvementé d’aujourd’hui, est porteuse de la saine conservation des relations internationales, si nécessaire à la normalisation des situations”. Et où la Fédération de Russie et la Chine jouissent d’un droit de veto, en tant que membres permanents du Conseil de sécurité. En conclusion Poutine prétend que pour mener à bien cette réforme de l’ordre international qu’il promeut, “notre pays possède un avantage qui consiste en notre expérience historique”. S’il évoque de façon très euphémique “beaucoup de choses négatives”, il soutient qu’à cause de cela “dans notre société s’est développée une ‘immunité collective’ à l’extrémisme”. Ce plaidoyer, en fait à destination de l’opinion publique russe, pour justifier le “tour de vis” actuel, fait justement peu de cas des détails de cette “expérience historique”. Au moment où le procureur général de la Fédération de Russie cherche précisément à l’effacer de la mémoire nationale en exigeant la liquidation de l’ONG Memorial, dépositaire ce cette mémoire, sous un prétexte futile, et où le parquet de Moscou demande la dissolution du Centre de défense des droits humains de Memorial. Ce qui donnerait alors libre cours au négationnisme d’Etat, tel qu’il s’installe actuellement en Fédération de Russie, nécessité par la volonté d’en faire la continuatrice de l’URSS, et de sa puissance.

Trois semaines après, dans un article publié par Kommersant le 10 novembre, Dmitry Souslov, de l’École des hautes études en sciences économiques de Moscou, a publié un article qui semble l’application de la nouvelle doctrine étrangère du président Poutine à la politique africaine de la Fédération de Russie : “Pourquoi la Russie retourne-t-elle en Afrique et de quelle manière” (2). D’autant plus que cet article est le résumé d’un exposé de l’EHESE : “Afrique : perspective de développement et recommandations pour la politique de la Russie”, réalisé en collaboration avec le ministère des Affaires étrangères, la commission des Affaires étrangères de la Douma, le Conseil pour la Politique étrangère et la Défense et le journal “La Russie dans la politique globale”, dirigé par Fiodor Loukianov, par ailleurs responsable scientifique du Club de Valdaï. L’article commence par annoncer “la fin de l’occidentalo-centrisme de la politique extérieure russe suite à la fin de l’ère de domination globale de l’Occident”. Bien qu’il prétende qu’un “monde polycentrique soit en cours de formation, sans principal hégémon”, il observe que dans ce contexte “les centres de pouvoir les plus influents que sont les Etats-Unis et la Chine sont passés à l’affrontement”, ce qui redessine en fait une nouvelle bi-polarité, après celle qui opposait les USA à l’URSS, en attendant l’apparition d’un nouvel hégémon au terme de cet affrontement.

Dans ce nouveau cadre, Souslov prétend cependant que “beaucoup de pays non-occidentaux aspirent à l’indépendance, au renforcement de leur souveraineté, à ce qu’eux mêmes puissent décider du développement de leurs régions, et ils ne souhaitent pas devenir les satellites d’une superpuissance contre l’autre”. C’est le cas de la Fédération de Russie, puissance régionale, mais dont précisément la nouvelle doctrine étrangère pourrait servir à reprendre le rang de puissance globale qui fut celui de l’URSS, en proposant une alliance aux pays “non-occidentaux”. Un euphémisme pour qualifier les pays désignés par Poutine comme ceux dont le système est basé sur “les valeurs traditionnelles” et le refus de celles proposées par l’Occident. Cette nouvelle coalition “non-occidentale”, sinon “anti-occidentale”, serait le levier permettant à la Fédération de Russie de retrouver ce rang international : “dans ces conditions, souligne Souslov, la Russie se positionne toujours plus comme un centre non-occidental de puissance de signification globale, qui joue un rôle important dans la prise de décision non seulement dans son environnement proche, mais dans des régions plus éloignées”.

Appliquée à l’Afrique, cette stratégie serait doublement payante : la Fédération de Russie y trouverait un débouché commercial et elle obtiendrait l’apport non négligeable des pays africains – qui constituent un peu plus d’un quart des pays représentés à l’ONU – dans les votes auprès de cette institution multilatérale privilégiée par Poutine. Comme le Moyen-Orient, où la Fédération de Russie a fait retour avec succès, l’Afrique ne serait actuellement “plus dominée par un hégémon régional ou extérieur”, situation favorable à ses propositions d’aide au développement, formulées lors d’un sommet Russie-Afrique en 2019 à Sotchi, le prochain devant se tenir en 2022. Selon Souslov, qui se réfère ici à l’exposé de l’EHESE, il ne s’agit pas de répéter la politique africaine de l’URSS trente ans après, marquée par la compétition avec les USA, dans la perspectives d’élargissement du camp socialiste, au prix d’investissements colossaux, mais de soutenir une intégration régionale qui ferait de l’Afrique “l’un des principaux centres de pouvoir au monde”.

Les projets africains de la Russie ne manqueront pas de se heurter, avantageusement selon Souslov, se heurtent d’ailleurs déjà, aux puissances intervenant déjà en Afrique : la Chine qui la pille, les USA qui la surveillent, et la France qui reste le principal pourvoyeur d’aide et possède des liens historiques avec les Etats francophone, qu’elle défend en outre militairement de la subversion islamiste. Car selon Souslov et ses collaborateurs, la Fédération de Russie posséderait un avantage dans l’offre aux pays africains – outre ses matières premières et ses mercenaires – qui la renvoie à son héritage soviétique, ici revendiqué quand auparavant il était écarté : “Aucun des pays africains ne perçoit la Russie comme un ennemi, un ancien colonisateur ou un potentiel hégémon”. “Une telle convivialité, ajoute Souslov, est en partie liée à l’expérience historique – la Russie n’a jamais colonisé l’Afrique, et l’URSS a grandement contribué à sa libération de la dépendance coloniale et à sa croissance économique”.

Les raisons politiques et idéologiques disparaissent ici au profit d’une vision irénique : Souslov ignore en effet que si l’URSS a joué un rôle en Algérie, en armant le FLN, la France a octroyé l’indépendance aux pays de l’Afrique francophone. Il ignore en outre que la colonisation a également eu un apport considérable en matière de santé, d’éducation, de création d’infrastructures et de développement de ces pays. Et donner de l’URSS l’image d’un pays non-colonisateur ignore l’histoire des pays d’Europe centrale et de la Baltique en 1939-1941 et après 1945, qui en ont conservé un souvenir cuisant, obérant les relations actuelles de l’Union européenne avec la Fédération de Russie, qui s’évertue à ne pas le reconnaître en réécrivant l’histoire. De sorte que ce qui se présente comme un “tournant” de la politique africaine de la Fédération de Russie, semble être en fait la reprise du rôle de l’URSS comme avant-garde de la libération des peuples, le tout enrobé de technologie politiste.

En attendant la réalisation de ces projets grandioses, en application de la doctrine étrangère poutinienne, lesquels promettent monts et merveilles à base d’échanges égalitaires pour une intégration harmonieuse du continent africain, ignorant les réalisations en cours, revenons à la réalité des tensions en Europe, en partie provoquées par cette même doctrine. Depuis son énoncé le 10 octobre à Sotchi, les relations entre les pays du Format Normandie, La France, l’Allemagne, l’Ukraine et la Fédération de Russie, signataires de l’accord de Minsk II le 11 février 2015, se sont nettement détériorées. Depuis la dernière réunion des quatre à Paris le 9 décembre 2019, c’est seulement le 11 octobre dernier qu’ont eu lieu des entretiens téléphoniques séparés des présidents Poutine et Zelenski avec le président Macron et la chancelière Merkel, au cours desquels une rencontre des ministres des Affaires étrangères a été décidée, qui est restée à l’état de projet. Le 29 octobre, Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, se contente d’adresser un projet de résolution en forme d’ultimatum, qu’il soumet aux commentaires et modifications de ses seuls collègues français et allemand, Jean-Yves Le Drian et Haïko Maas, ignorant son collègue ukrainien Dmytro Kouleba, après quoi une rencontre pourrait être envisagée (3).

Ce projet de résolution prévoit que les quatre ministres se sont réunis “pour examiner les causes de l’absence de progrès dans le règlement du conflit intérieur à l’Ukraine et donner une impulsion politique au travail de l’Ukraine et des parties séparées des régions de Donetsk et de Lougansk de l’Ukraine (en russe ORDLO) dans le Groupe de travail tripartite avec l’aide de la Russie et de l’OSCE”. Observons que les ORDLO – qui devraient en principe se voir ajouter à leur sigle le U de Ukraine, ce qui donnerait ORDLOU – se nomment en traduction française au Conseil de sécurité de l’ONU, qui entérine les accords de Minsk II le 17 février 2015, “certaines zones des régions ukrainiennes de Donetsk et de Louhansk” (4). Lavrov propose alors : “Nous affirmons que les accords de Minsk constituent la seule base exclusive pour le règlement politique pacifique et universel du conflit en Ukraine, et nous sommes favorables à l’établissement le plus tôt possible à ces fins d’un dialogue direct entre Kiev, Donetsk et Lougansk”, ajoutant : “Nous affirmons également que conformément au “paquet de mesures” la responsabilité, les droits et obligations pour la coordination et la mise en oeuvre des mesures visant à résoudre le conflit sont attribuées aux autorités de l’Etat ukrainien et aux organes de pouvoir en vigueur de fait des ORDLO”.

Si les organes de pouvoir en vigueur dans les ORDLO le sont en effet de fait, aux termes des combats du printemps 2014 et de l’hiver 2015, ils ne le sont pas de droit, et toute la difficulté de la réalisation des accords de Minsk consiste en la recherche d’un compromis à ce sujet. D’autre part, Lavrov propose à ses collègues d’entériner un dialogue direct entre Kiev, Donetsk et Lougansk pour régler un conflit qu’il considère comme “intérieur à l’Ukraine”. D’une part, les accords de Minsk II n’énoncent à aucun moment le caractère direct de ce dialogue, d’autre part le caractère interne à l’Ukraine du conflit du Donbass ne l’est qu’en partie : interviennent dans ce conflit aussi bien la Fédération de Russie du côté de Donetsk et de Lougansk, que certains Etats occidentaux du côté de Kiev. Comme l’a reconnu l’écrivain Zakhar Prilépine dans un livre dont la traduction a été publiée aux éditions des Syrtes (5), et dans l’interview qu’il m’a accordé à ce sujet (6), la situation “de fait” évoquée par Lavrov est aussi due à une intervention militaire de ce qu’il a nommé “la main de Moscou”, notamment au printemps 2014. Concernant la difficile négociation de droit international sur le statut des ORDLO qui en a résulté, l’ancien ministre des Affaires étrangères allemand, Frank-Walter Steinmeier, avait cependant proposé en octobre 2015 une solution qualifiée de “formule Steinmeier”, acceptée par le nouveau président ukrainien Volodymyr Zelensky le 1er octobre 2019.

Cette formule prévoit qu'”une loi sur le “statut spécial permanent du Donbass” entrera en vigueur à 20h le jour des élections locales anticipées – qui devraient se tenir sous l’observation d’une mission de l’OSCE – et après l’instauration d’un cessez-le-feu” (7). D’autre part Minsk II prévoyait dans son article 11 une réforme de la constitution ukrainienne “dont un élément essentiel sera la décentralisation, compte étant tenu des spécificités de certaines zones des régions de Donetsk et de Louhansk” (4). De sorte que Lavrov, dans son projet de résolution du 29 octobre, fait la proposition suivante : “Nous affirmons la nécessité, dans le cadre de la préparation d’un projet de plan d’action, de procéder à la discussion de tous les aspects de droit du futur régime particulier (statut) des parties séparées des régions de Donetsk et de Lougansk dans la composition de l’Ukraine en conformité avec les accords de Minsk, de convenir dès que possible et conformément à la “formule Steinemeier” d’introduire et d’appliquer tous les actes législatifs nécessaires, y compris des amendements à la constitution ukrainienne”. La signature de cette formule par Zelensky avait rencontré de vives oppositions en Ukraine, et pas seulement de la part des groupes radicaux, dont la tâche n’a pas été non plus facilitée par la décision de Poutine de “passeportisation russe” d’une partie significative des habitants du Donbass, prise dès le lendemain de l’élection de Zelensky en avril 2019, torpillant ainsi la possibilité de réalisation des accords de Minsk que cette élection présentait.

Le 4 novembre Le Drian et Maas répondent à Lavrov dans une retranscription en anglais qu’ils prennent le soin de faire traduire en russe, alors que leur collègue ne s’était adressé à eux que dans sa langue (3). D’accord sur le contenu des mesures à prendre pour réaliser Misnk II, ils divergent cependant sur les modalités de leur réalisation, qui vient d’une différence d’appréciation de la nature du conflit du Donbass : “Votre lettre du 29 octobre contient nombre d’estimations qui ne sont pas partagées par l’Allemagne et la France, par exemple le tableau d’un “conflit interne à l’Ukraine”, ou la description de la Russie comme facilitatrice aux côtés de l’OSCE dans le Groupe de contact trilatéral. Elle comporte également des dispositions qui ne trouveront certainement pas d’accord parmi les Etats du Format Normandie, entre autres “l’établissement d’un dialogue direct entre Kiev, Donetsk et Luhansk” et elle omet de préciser que l’OSCE doit être autorisée d’accomplir pleinement son mandat et, à cette fin, doit lui être accordé un accès libre et sécurisé dans toute l’Ukraine”. En conséquence ils joignent à Lavrov un projet de résolution pour une réunion des MAE Normandie le 11 novembre, où la réalisation de Minsk II est confiée aux dirigeants du Format Normandie, et non au Groupe de contact trilatéral, comme l’a suggéré Lavrov dans le sien. Rédigé en anglais, il est également traduit en russe.

Dès le 6 novembre Lavrov répond, toujours exclusivement en russe (3) : il se dit déçu de la réponse de ses collègues, notamment par le refus d'”organiser un dialogue direct entre Kiev, Donetsk et Lougansk”, ainsi que par leur remarque sur l’absence dans son projet à lui de disposition selon laquelle l’OSCE doive avoir “un accès sûr et fiable dans tout le territoire de l’Ukraine pour l’accomplissement de son mandat”. Il omet cependant de relever les autres griefs de ses collègues, qui contestent et la nature interne à l’Ukraine du conflit du Donbass, et le rôle de facilitatrice qu’aurait la Fédération de Russie dans le Groupe de contact trilatéral aux côtés de l’OSCE. Car au lieu d’aborder cette pomme de discorde – qui constitue en fait la difficulté majeure de la réalisation des accords de Minsk, alors qu’en toute logique ils devraient impliquer tous les participants au conflit – il argumente sur d’autres points. Et notamment sur le dialogue direct entre Kiev, Donetsk et Lougansk, dont il prétend qu’il est prévu noir sur blanc dans les articles 9, 11 et 12 de Minsk II, alors que ces articles disposent en toutes lettres que les mesures visées pour réaliser Minsk II, le seront “en consultation et en accord avec les représentants de certaines zones des régions de Donetsk et de Louhansk dans le cadre du Groupe de contact tripartite”. En conclusion Lavrov prétexte un agenda chargé pour décliner l’invitation à un Format Normandie le 11 novembre. Une date d’ailleurs sensible, car la Russie n’a pu être présente à la victoire de 1918, ses engagements ayant été trahis par la signature du traité de Brest-Litovsk le 3 mars 1918 négocié entre les bolcheviks et les empires centraux.

Sur ces entrefaites, le 14 novembre, Poutine accorde une interview exceptionnelle à l’émission qui lui est personnellement réservée chaque dimanche soir sur Rossia 1, au titre très éloquent : “Moscou, Kremlin, Poutine”, où il fait mine de s’étonner que l’on reproche à la Fédération de Russie de ne pas avancer dans la réalisation des accords de Minsk. Pour un peu plus tard donner lui-même la réponse, sous forme d’une dénégation, figure qui lui est habituelle, quelque peu redondante : “Dans les accords de Minsk il n’est pas dit que la Russie soit une part du conflit, nous n’avons jamais été d’accord avec ça, et ne serons pas d’accord, nous ne nous trouvons pas être cela”. C’est pourtant là que le bât blesse, et qui mène les accords de Minsk à une impasse. Poutine fait ensuite un rapide historique du conflit, pour finir par imputer à Zelensky l’escalade actuelle, alors que si lui l’avait voulu, il aurait pu saisir la chance de cette élection, au lieu d’emprunter une voie rendant impossible tout compromis, tandis que les chaînes fédérales russes déversaient une propagande renforçant les positions des jusqu’au-boutistes à Kiev.

Dès le lendemain 15 novembre, alors que les informations sur les déplacement de forces terrestres et maritimes se font plus insistantes, croisant des démentis, Le Drian et Maas font à Bruxelles une déclaration commune, après avoir rencontré leur collègue ukrainien Kouleba, qui constitue une mise en garde : “les deux ministres ont appelé la Russie à adopter une posture de retenue et à se montrer transparente sur ses activités militaires. Toute nouvelle tentative de porter atteinte à l’intégrité territoriale de l’Ukraine aurait de graves conséquences”. Le même jour, la Fédération de Russie lance un coup de semonce, sous forme de tir de missile sur un vieux satellite soviétique. Il s’agissait de faire l’essai d’un système “conçu pour détruire à la fois les missiles balistiques et les engins spatiaux et aura une version mobile”, précisent les Izvestia le lendemain (8). Les Américains se plaignent immédiatement du nuage de 1500 gros fragments provoqué par le tir, qui menace la station spatiale internationale. Le ministère russe de la Défense rétorque en accusant les Américains de militariser l’espace. L’on se souvient en effet que l’annonce triomphale et agressive de sa nouvelle panoplie d’armes stratégiques hypersoniques et non-balistiques par Poutine devant l’Assemblée fédérale le 1er mars 2018 (9), n’avait rencontré aucun écho chez les Occidentaux. Mais deux ans après, sous la présidence de Trump, était décidée la création d’un complexe militaire spatial assurant une suprématie américaine dans le cosmos : “selon les militaires russes, ajoutent les Izvestia, le Pentagone développe et teste activement en orbite les dernières armes de frappe et de combat”.

Dès le lendemain 16 novembre, Lavrov répond à la déclaration commune de Le Drian et Maas par une nouvelle lettre (3), dans laquelle il accuse ses collègues de menacer la Fédération de Russie, et oppose un démenti aux intentions qu’on lui prête de porter atteinte à l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Il leur reproche également d’ignorer le sabotage par Kiev des accords de Minsk, “oubliant que c’est leur mise en oeuvre qui permettra le retour du Donbass en Ukraine et ainsi à restaurer son intégrité territoriale”. En conséquence, il leur annonce sa décision de publier sur le site du ministère leur correspondance à dater du 29 octobre, dès le lendemain 17 novembre, ce qui constitue une rupture des usages diplomatiques. Espérant ainsi démontrer sa bonne foi auprès de l’opinion internationale, il réitère son engagement “à poursuivre la coopération au sein du Format Normandie afin d’encourager Kiev, Donetsk et Lougansk, en tant que parties au conflit, à remplir leurs obligations au titre du paquet de mesures prévues par Minsk II, et à convenir de tous les accords qui en découlent dans le cadre du Groupe de contact tripartite”.

Le lendemain de la publication de cette correspondance manifestant le constat d’échec de Minsk II – d’autant plus que le lieu où doivent se dérouler les réunions du Groupe de contact tripartite est le siège d’un pouvoir considéré comme illégitime par l’UE depuis les élections d’août 2020, qui plus est engagé dans une agression des frontières de l’UE via des flux de migrants – Poutine revient le 18 novembre sur sa doctrine de politique étrangère devant le ministère des Affaires étrangères (MID) “élargi”, aux fins d’application (10). Il confirme l’orientation “huntingtonienne” qu’il lui avait donnée un mois auparavant au club de Valdaï, en précisant qu’elle découle de la nouvelle constitution de 2020, “dans laquelle sont désormais fixés les attitudes et les valeurs telles que la loyauté envers la patrie, le respect de la langue maternelle, de l’histoire, de la culture et des traditions de nos ancêtres”. Prenant acte de la nouvelle configuration internationale marquée par le retrait américain d’Afghanistan et la prise de Kaboul par les talibans, il réaffirme les principes fondateurs de l’ONU : “la souveraineté et l’égalité des Etats, la non-ingérence dans leurs affaires intérieures, la résolution équitable des conflits et, bien entendu, le rôle-clé de l’ONU dans la résolution des problèmes internationaux”.

C’est pourquoi, une fois ceci posé, il rappelle sa proposition d’un “sommet des Etats, membres permanents du Conseil de sécurité, qui portent une responsabilité particulière dans le maintien de la paix et de la stabilité internationale”, c’est à dire un nouveau Yalta post-guerres d’ingérence, qui pourrait sanctionner un partage du monde entre pays à “valeurs traditionnelles” et pays à valeurs démocratiques et libérales. Après avoir dressé le panorama des différentes structures d’intégration auxquelles participe la Fédération de Russie : Union eurasiatique, Organisation du traité de sécurité collective, Organisation de coopération de Shangaï et BRICS, il en vient à énumérer les “problèmes internationaux”, au premier rang desquels ce qu’il nomme “la crise interne à l’Ukraine, qui malheureusement est loin d’être réglée”. Confirmant Lavrov, il en impute la faute à l’Ukraine et à la France et l’Allemagne, “qui favorisent le cours du gouvernement actuel à Kiev en vue du démontage des accords de Minsk, ce qui conduit les négociations et le règlement lui-même à une impasse”, alors que ces accords “ont acquis la forme d’une norme de droit international – prise par une décision conforme du Conseil de sécurité de l’ONU”.

Il en vient alors à retourner l’accusation formulée par les deux ministres français et allemand, alors que, fait-il observer, “nos partenaires occidentaux aggravent la situation par des livraisons à Kiev de nouvelles armes létales, et par l’organisation provocatrice de manoeuvres militaires à proximité de nos frontières”. “En ce qui concerne la mer Noire, martèle-t-il, ça dépasse vraiment les limites : à une distance de 20 kilomètres de notre frontière d’Etat volent des bombardiers stratégiques, porteurs comme on le sait d’armes très sérieuses”. Il revient alors sur la pierre d’achoppement des relations de la Fédération de Russie avec l’Occident, l’élargissement de l’OTAN à l’Est, dont il rappelle l’histoire : “Bien que les relations entre la Russie et nos partenaires occidentaux, y compris les USA, fussent juste uniques – le niveau des rapports était presque celui d’alliés – notre préoccupation et nos avertissements concernant l’élargissement de l’OTAN à l’Est furent absolument ignorés”. Il ne lui vient cependant pas à l’esprit de considérer que cet élargissement est lié à l’intégration des pays d’Europe centrale et de la Baltique, que leur histoire a rendus méfiants à l’égard de leur voisin oriental, en l’absence de reconnaissance officielle de ce que fut cette histoire de la part de la Fédération de Russie. Méfiance et inquiétude renforcée par l’évolution autoritaire du régime mis en place par Poutine, entamée dès son installation au pouvoir en 2000.

Celui-ci poursuit alors en posant l’état actuel de cet élargissement : “en Roumanie et en Pologne ont déjà été déployés des systèmes de défense antimissile, qui peuvent être facilement utilisés comme système de frappe du fait qu’il existe là des lanceurs de missiles Mk-41. Il suffit de seulement quelques minutes pour changer le logiciel”. Il exprime alors à mots couverts une certaine satisfaction : “mais néanmoins, nos récents avertissements se font tout de même comprendre et produisent un certain effet : une tension notable a surgi là-bas”. Propos qu’André Kolesnikov, correspondant de Kommersant au pool présidentiel, commente ainsi dans un article du même jour : “En effet, stopper l’avancée de l’OTAN vers les frontières russes on le peut, semble-t-il, déjà seulement depuis l’espace”. Allusion au tir de missile spatial trois jours auparavant. Mais, ajoute le journaliste, “en fait, apparemment, il (Poutine) était complètement exaspéré par un bombardier stratégique de l’OTAN à 20 kilomètres de la frontière russe, alors que des armes hypersoniques, par exemple, nous on en a, mais pas eux”. Et Kolesnikov de commenter la déception exprimée par Poutine quant au manque de fiabilité de ses partenaires occidentaux : “il voulait dire qu’il était absurde de compter sur ces gens ; c’est vrai qu’il avait compté dessus, mais vingt ans auparavant… Et maintenant il a enlevé son masque, au cas où… Mais en fait il n’en a pas porté… Il n’a pas de masque. Notamment médical”.


Poutine a-t-il toujours été aussi franc avec ses partenaires occidentaux que le laisse entendre Kolesnikov ? Quatre jour après son discours au MID, est-ce un hasard, l’ancien commandant de la Flotte du Nord, Viatcheslav Popov, vingt ans après le coulage du Koursk, revient sur les causes de cette tragédie. Pour démentir la version officielle selon laquelle le sous-marin atomique, et tout son équipage, auraient été victimes de l’explosion d’une torpille à bord. Ce fleuron de la marine russe, “tueur de porte-avions”, était un lanceur de torpilles fusées Schkval, capables d’atteindre déjà plus de 500 km/h, “grâce à un système dit de ‘super-cavitation’ formant une enveloppe de gaz autour d’elles”, que “les Russes ne cessent d’améliorer”, souligne le journaliste Jean-Michel Carré, auteur d’une enquête très serrée à ce sujet, consignée dans un livre paru en 2008 (11). Le jour de l’accident, au cours d’une démonstation devant des officiels chinois, le 12 août 2000, Poutine n’était pas là, mais à Sotchi, où, “ironie du sort, il a convoqué dans sa résidence les plus hautes sommités scientifiques russes (…) pour réorganiser en priorité la recherche scientifique vers la création des armes du futur”.


Il lui faudra dix-huit ans pour y parvenir. L’on conçoit donc l’hubris dont il semble saisi devant un auditoire hilare lorsqu’il en détaille l’annonce à l’Assemblée fédérale le 1er mars 2018. Et de sa déception lorsque cette annonce n’a rencontré que le silence de ses “partenaires” occidentaux. A-t-il une revanche personnelle à prendre sur eux ? Les révélations de Popov, qui n’en sont plus vraiment, concluent à une collision du Koursk avec un sous-marin américain, le Toledo, qui surveillait la démonstration. Carré va jusqu’à dire qu’un second sous-marin américain, le Memphis, se croyant menacé, aurait lancé un tir préventif sur le Koursk. En tout cas cette révélation ne peut que susciter l’animosité envers les responsables du naufrage et, dans la tension actuelle, chercher à mobiliser la population derrière son dirigeant. Néanmoins dans son discours au MID, devant le scepticisme qu’il prête à son auditoire sur la possibilité d’obtenir des garanties de sécurité de la part de partenaires occidentaux peu fiables, Poutine lui enjoint “quelle que soit la difficulté, vous devez y travailler, et je vous demande de garder cela à l’esprit”. Ce que Kolesnikov commente par “apparemment le ministère des Affaires étrangères doit donc maintenant proposer un nouvel accord sur la sécurité en Europe”.


Le jour même des révélations de l’amiral Popov, un autre commentateur du discours de Poutine au MID, Fiodor Loukianov, dans un article intitulé “Apologie de la tension” (12), observe qu'”un passage de ce discours attire l’attention, selon lequel il convient d’entretenir une tension avec les partenaires à l’ouest des frontières russes. Une déclaration clairement programmatique”. Et il précise : “Les relations de la Russie avec l’Occident ont franchi une limite. Au centre se trouve de nouveau le facteur de la puissance militaire. La seule question qui vaille est la gestion de la confrontation”. Il rappelle que l’élargissement de l’OTAN est un problème notoire pour la Russie. Mais il ajoute : “On se souvient plus rarement qu’il est un problème non moins important pour le Bloc. Quand la décision a été prise en 1990, il n’a pas été prévu que l’expansion exigeait de réellement étendre la garantie de sécurité à une grande quantité de nouveaux pays. L’on supposait que la Russie soit s’intégrerait dans le système commun, soit ne représenterait pas de de danger pour une longue période. Un système commun n’a pas eu lieu, en partie à cause du maintien de l’OTAN, et le relèvement de la Russie a été plus rapide que prévu”.


Il en est résulté selon lui une situation de faiblesse du camp occidental – par manque d’implication des nombreux partenaires et par leurs divisions – et particulièrement de l’Europe. De sorte que “la Russie a la tentation de profiter de la discorde européenne pour corriger la situation politico-militaire trente ans après”, tandis que les Etats-Unis sont tiraillés entre leur réorientation vers la zone indo-pacifique et la poursuite de leur défense de l’Europe. “Cela engendre une nervosité, observe-t-il, qui ne favorise pas les mécanisme de conservation d’une stabilité. D’autant plus que dans la situation nouvelle, il convient de les créer à nouveau”. Nous en sommes donc arrivés à un moment “où la vieille polémique de l’élargissement de l’OTAN doit être tranchée”, soit en autorisant son accès à tous, soit en y renonçant, et “il y a beaucoup de risques à ces deux variantes”. Il entrevoit alors une porte de sortie, qui est du ressort de Poutine seul, auquel il adresse une critique, le jugeant encore marqué par “les leçons de guerre froide” : “ce qui est embarrassant dans le discours du président, c’est le retour à un occidentalo-centrisme excessif. Même lorsqu’il parle de la Chine, c’est en relation avec l’Occident.” Il lui suggère donc de regarder ailleurs, car selon lui “quoi qu’il arrive en Europe, elle restera à la périphérie stratégique. Et elle n’aura pas de signification déterminante pour la position internationale de la Russie, mais secondaire”.


En attendant, le 25 novembre, lors d’une conférence avec le premier ministre polonais Mateusz Morawiecki, la chancelière Merkel a menacé la Russie de “nouvelles sanctions en cas d’aggravation de la situation autour de l’Ukraine et à la frontière polono-biélorusse” (13). Le même jour, le ministre des Affaires étrangères ukrainien Dmytro Kouleba annonçait qu’il s’envolerait le 30 novembre pour Riga “pour y prendre part à la réunion des ministres des Affaires étrangères des pays de l’OTAN, qui vont discuter de la sécurité dans la région de la mer Noire. La réunion se déroulera selon le format ’30 + 2′ : avec les Etats membres de l’Alliance, l’Ukraine et la Géorgie prendront part à la discussion, manifestant leur volonté de rejoindre le Bloc” (14). Le 26 novembre, le Wall Street Journal dévoile alors la position que défendra Washington à la réunion de Riga : “les USA envisagent d’utiliser cette réunion pour renforcer les activités de l’OTAN relativement à la concentration des troupes russes à la frontière ukrainienne. Auparavant l’administration Biden a étudié les actions possibles en cas d’invasion de l’Ukraine par la Russie, elles comprennent un renforcement gradué du système de défense ukrainien, ainsi que des sanctions économiques sévères”. Cependant , “Comme variante à la diminution de la tension à la frontière entre la Russie et l’Ukraine, les USA envisagent la limitation des manoeuvres de l’OTAN en Europe, que Moscou a qualifié de provocation. En outre, l’administration Biden envisage la possibilité de participer aux négociations sur les accords de Minsk et le recrutement des membres de l’OTAN” (15).
De sorte que le 28 novembre, l’agence officielle Ria Novosti citait une déclaration du porte-parole de la présidence, selon laquelle le Kremlin espérait qu’une rencontre Poutine Biden aurait lieu d’ici la fin de l’année. On est là loin des postures avantageuses adoptées par les chaînes fédérales russes à la veille de la rencontre Biden Poutine à Genève en juin dernier, se demandant ce qu’ils avaient à se dire. C’est donc Moscou qui maintenant se trouve en situation de demanderesse. Comme si Washington avait d’autres arguments que la panoplie hypersonique qui avait un temps donné l’illusion de l’invulnérabilité.

Frédéric Saillot, le 30 novembre 2021

(1) http://kremlin.ru/events/president/news/66975
(2) https://www.kommersant.ru/doc/5065335
(3) https://www.mid.ru/documents/10180/4944950/дипломатическая+переписка.pdf/795480b9-c3da-4498-88c8-f0a723c62c6f
(4) https://www.un.org/press/fr/2015/cs11785.doc.htm
(5) “Ceux du Donbass”, voir la 2ème partie “L’heure “Che” de Zakhar.
(6) https://www.youtube.com/watch?v=157L2ICrBOM&t=1s
(7) https://regard-est.com/ukraine-oppositions-a-la-formule-steinmeier
(8) https://iz.ru/1250793/anton-lavrov-andrei-fedorov/vzletai-oruzhie-chto-za-raketu-ispytala-rossiia-v-kosmose
(9) Voir mon article : http://www.eurasiexpress.fr/du-coulage-du-koursk-a-la-panoplie-anti-anti-missile-les-enjeux-de-la-presidentielle-russe/
(10) http://kremlin.ru/events/president/news/67123
(11) “Poutine, le parrain de toutes les Russies” , éditions Saint-Simon. Voir aussi le film documentaire : https://www.canal-u.tv/video/cerimes/koursk_un_sous_marin_en_eaux_troubles.13454, et mon article (cf note 9)
(12) https://www.kommersant.ru/doc/5087594?from=author_1
(13) https://tvrain.ru/news/merkel_prigrozila_rossii_novymi_sanktsijami_iz_za_situatsii_vokrug_ukrainy_i_migrantov-542718/
(14) https://www.kommersant.ru/doc/5090744?from=main
(15) https://www.wsj.com/articles/u-s-looks-to-nato-to-deter-russian-aggression-as-ukraine-warns-of-possible-coup-11637962617?mod=lead_feature_below_a_pos1