Renaissance de l’exception française : l’Assemblée nationale vote la levée des sanctions anti-russes

Le débat qui a conduit à ce vote le 28 avril dernier, adoptant la proposition de résolution du député Les Républicains Thierry Mariani et 83 de ses collègues, qui invite “le gouvernement français à entamer une négociation visant à lever le plus rapidement possible la politique de sanction à l’égard de la Russie”, est symptomatique à plus d’un titre.
Il témoigne en effet de la crise profonde que traverse la France depuis déjà de nombreuses années concernant sa place dans les bouleversements géopolitiques en cours, de la recomposition du paysage politique intérieur qui en est une conséquence et de la fin pitoyable et chaotique du régime Hollande.

N’étaient présents en effet dans l’hémicycle au début d’une séance de deux heures qu’une vingtaine de députés, qui ne dépasseront pas la quarantaine tout au long des débats, atteignant la soixantaine au moment où Marion Maréchal du Front national, Nicolas Dhuicq des Républicains et Harlem Désir représentant le gouvernement le concluaient, pour atteindre une petite centaine au moment du vote.
Certes, les députés sont habituellement peu présents à la séance du jeudi, fatigués dit-on par les deux journées précédentes consacrées aux questions au gouvernement, et ils sont également censés revenir à leurs circonscriptions. Il n’en demeure pas moins que la proposition débattue est cruciale pour la situation économique du pays, et notamment son agriculture, comme l’ont bien montrés Thierry Mariani et son collègue Marc Le Fur, mais également concernant sa place dans une situation internationale bouleversée.
Or il semblerait que l’absentéisme nombreux, s’il peut s’expliquer par une tactique de vote par défaut comme l’a invoqué Mariani supposant que nombre de députés socialistes, mais l’on pourrait également y ajouter nombre de députés du centre droit, avaient “voté avec leurs pieds”, témoigne d’un refus et d’une incapacité à se prononcer en ce moment historique d’une gravité exceptionnelle.
En témoigne également le ton feutré des débats, l’absence de véritable rhétorique portée par une vision claire et par une conviction, à l’exception de Nicolas Dhuicq qui s’y efforce avec courage, et surtout la confusion, notamment chez les intervenants de l’actuelle majorité. Bref une Assemblée ce matin-là à l’image de la nation qu’elle représente : frileuse, incertaine d’elle-même, forcée par ses élites compradores à abdiquer de son histoire, de sa culture, de ses talents et de sa mission, mais ne les oubliant pas, et cherchant comme en balbutiant à renaître à ce qui fut son exception.

Evaluer la place de la France dans la recomposition géopolitique en cours commence par savoir nommer les événements qui y participent, et notamment la crise ukrainienne, cruciale pour l’avenir du continent. Or on ne peut pas dire que la représentation nationale témoigne à cet égard d’une réelle connaissance de la situation, à quelques exceptions près, ce qui la rend la plupart du temps perméable à la propagande et à la désinformation qui inondent l’industrie médiatique sur le sujet.
Prenons l’historique développé par le député UDI François Rochebloine : selon lui la crise a commencé par “le refus de Yanoukovitch de signer l’accord d’association avec l’Union européenne (…), revirement opéré sous la pression russe”. C’est ignorer que les hésitations de Yanoukovitch étaient fondées sur de réelles préoccupations concernant les conséquences intérieures et internationales d’un choix imposé comme un franchissement du Rubicon par les responsables de l’Union européenne, et notamment ceux investis dans le “partenariat oriental”, de manière à intégrer l’Ukraine dans un bloc atlantique, au mépris de la réalité de son économie, de son histoire et de sa culture. Cela sans concertation avec la Russie, pourtant impliquée dans ce choix étant donnée la complémentarité économique, et pas seulement, entre les deux pays, comme elle l’a proposé à de nombreuses reprises les mois précédant la crise. Depuis, étant donnée l’évolution tragique et dangereuse provoquée par sa politique agressive et irresponsable, l’Union européenne, avec de nouvelles têtes, est revenue sur cette erreur comme elle l’a reconnue explicitement dans la signature de la déclaration appuyant les accords de Minsk par l’Allemagne et la France avec la Russie et l’Ukraine, prenant acte de la nécessité de discussions tripartites entre l’UE, l’Ukraine et la Russie concernant la mise en place de l’accord d’association et déclarant “maintenir le projet de création d’un espace humanitaire et économique commun de l’Atlantique au Pacifique sur la base du plein respect du droit international” (1). De cette grave erreur et des responsabilités qu’elle implique il n’a pas été question ce matin-là à l’Assemblée nationale.
Dès lors tout s’enchaîne, ce que Rochebloine appelle “la fuite, puis la destitution du président et son remplacement par Alexandre Tourtchinov, nom qu’il prononce “Tourchnikov”, ce qui témoigne de son souci de l’exactitude des faits, est en réalité un coup d’Etat. Quelle qu’ait été par ailleurs la mobilisation populaire, suscitée par des illusions dont elle est amèrement revenue depuis et dont la gauche a été écartée manu militari par les groupes néo-nazis (2) qui en ont été le fer de lance dès le soir de la rupture de Vilnius. Coup d’Etat enfin auquel a participé l’ancien ministre Fabius dans le cadre d’un improbable “triangle de Weimar” réactivé pour l’occasion, présent à Kiev à ce moment précis pour faire signer un accord avec Yanoukovitch alors que des tirs de snipers faisaient opportunément des dizaines de morts sur le Maïdan. Ces morts, provoqués à partir des immeubles occupés par les milices d’extrême-droite, vont en effet justifier le coup d’Etat alors que Fabius s’envolait vers la Chine, laissant un subalterne signer un accord dont il connaissait pertinemment la valeur.
Elu président de l’Assemblée le jour même du coup d’Etat, le 22 février 2014, par une Rada où les députés de l’opposition sont physiquement interdits de siéger par les milices fascistes, et “remplaçant” le président légitime Yanoukovitch, Tourtchinov va s’empresser de déclencher l’Opération antiterroriste dans le Donbass, où la population, justement inquiétée par l’usurpation du pouvoir par une clique nationaliste a voulu défendre ses droits dans le cadre d’une fédéralisation. La volonté d'”ukrainiser” l’ensemble de l’Ukraine, ou plus précisément de la “galiciser” et de la “bandériser” – du nom de cet idéologue collaborationniste galicien Stepan Bandera, référence majeure des maïdanistes – clairement affichée par Kiev et les groupes néo-nazis, va provoquer une radicalisation des revendication de l’Est, ce que Rochebloine qualifie euphémiquement d’impossibilité “de poser les bases d’une transition politique sereine et durable”. “Au contraire, déclare-t-il, la crise ukrainienne s’est terriblement envenimée pour devenir une crise diplomatique majeure débouchant sur l’annexion de la Crimée par la Russie”. Comme si le déclenchement de la guerre civile n’avait pas été le fait de Kiev, provoquant la réaction d’autodéfense des populations du Donbass et de Crimée. Il y a d’ailleurs tout lieu de penser que le massacre du Maïdan est le fait des milices d’extrême-droite, et qu’il a été dirigé par André Parouby, néo-nazi fondateur du parti socialiste-national ukrainien et de Svoboda, qu’on retrouve donnant ses directives et distribuant des gilets pare-balles aux nervis fascistes à Odessa à la veille du massacre du 2 mai 2014 à la Maison des syndicats. En récompense de ces hauts faits d’armes, il se trouve être actuellement le président de la Rada, en remplacement de Vladimir Groïsman, nommé premier ministre. Quant à la guerre dans le Donbass, elle a commencé par des opérations de diversion contre Slaviansk par la milice néo-nazie Pravy Sektor, comme l’a revendiqué son chef Dimitri Yarosh dernièrement dans la presse (3). Ce que Rochebloine appelle “l’annexion de la Crimée par la Russie” n’est donc pas le premier acte des hostilités déclenchées en Ukraine par le coup d’Etat du 22 février 2014.
Et c’est aussi de façon tout à fait inappropriée que Désir lui – qui pour être secrétaire d’Etat chargé des Affaires européennes s’est cru permis de tenir un discours de fonctionnaire européen au sein de l’Assemblée nationale française – a parlé d'”agression armée (de la Russie) contre un Etat souverain”, n’hésitant pas à reprendre sans complexe la propagande de Kiev. Concernant la Crimée – octroyée en fait à l’Ukraine par Khrouchtchev pour des raisons administratives de raccordement du réseau électrique à un moment où ça ne posait pas de problème à une population qui restait dans l’URSS, mais en violation du droit existant à l’époque comme l’a souligné le président Poutine – si le radical Paul Giacobbi rappelle à juste titre qu’au moment de l’indépendance de l’Ukraine celle-ci “non seulement a reconnu à la Crimée un statut d’autonomie particulier à la Crimée, mais l’a dotée d’une base militaire et a reconnu un statut encore plus particulier à Sebastopol”, et si Maréchal rappelle qu'”en janvier 1991 déjà, les Criméens organisaient, sous le contrôle d’observateurs internationaux, un référendum dont les résultats parlent d’eux-mêmes : un taux de participation de 83 % et 93,4 % de suffrages favorables au maintien dans la Fédération de Russie”, Désir et le président du groupe écologiste François de Rugy, aussi idéologiques et éloignés des réalités l’un que l’autre, non seulement parlent d'”annexion” comme Rochebloine, mais n’hésitent pas à déclarer que le président Poutine lui-même l’aurait reconnu à la télévision. Rugy surenchérissant même dans une explication de vote digne d’un Eltchaninoff, d’une Vaissié et autre Blanc, dont il semble avoir fait ses auteurs de chevet : “quand on dit que M. Poutine est responsable de l’annexion de la Crimée, c’est parce que M. Poutine l’a revendiqué lui-même. A la télévision russe il s’est vanté d’avoir préparé avec ses services l’opération en Crimée”. Poussé par les protestations qui commencent à se faire plus vives dans une séance restée plutôt calme mais qui avait commencé à se manifester au moment de la prestation de Désir, Rugy sort de ses gonds et révèle le fond de sa, pauvre, pensée : “donc les choses sont extrêmement claires : nous sommes dans un monde, là aussi mes chers collègues, ne soyons pas naïfs, nous sommes dans un monde où il y a aujourd’hui un expansionnisme agressif de la Russie de Poutine, et nous avons à y faire face”.
Qu’en est-il ? Dans la longue interview qu’il a accordée au journaliste de Rossia 1 Andreï Kondrachov en mars 2015 (4) – soit un an après les faits restés secrets à la demande du président ukrainien – le président Poutine révèle qu’il a ordonné le sauvetage du président Yanoukovitch, à la demande de Yanoukovitch, qu’il a lui même supervisé dans la nuit du 22 au 23  février, soit celle qui suit le coup d’Etat : “Nos services de surveillance avaient commencé à suivre son convoi. Il était clair que Viktor Yanoukovitch allait prochainement tomber dans une embuscade. Il allait tout simplement être éliminé”. Poutine se trouve alors avec des responsables des services spéciaux et du ministère de la Défense. L’opération terminée avec succès à 7 heures du matin : “Au moment de nous quitter, poursuit Poutine, j’ai dit à tous mes collègues, ils étaient quatre : ‘La situation est telle en Ukraine que nous devons commencer le travail pour le retour de la Crimée au sein de la Fédération de Russie”. Voilà ce qu’on retenu Désir et Rugy. Or Poutine ne s’est pas arrêté là, il ajoute en effet : “Parce que nous ne pouvons pas abandonner ce territoire et ses habitants en détresse aux nationalistes’. Et j’avais donné certaine directives, explique-t-il, j’avais dit ce que nous devions faire et comment, mais j’avais tout de suite souligné que nous le ferions uniquement si nous étions absolument convaincus que les habitants de la Crimée le voulaient eux-mêmes, souligne-t-il avec insistance”. Et il précise encore davantage : “Il fallait offrir aux gens la possibilité de l’autodétermination, d’exprimer leur avis. C’était notre objectif. Je vous le dis en toute sincérité. Je me disais : si ces gens le veulent, alors qu’il en soit ainsi. Ils auront davantage d’autonomie et certains droits, mais au sein de l’Etat ukrainien, qu’il en soit ainsi. Mais s’ils en décidaient autrement, nous ne pouvons pas les abandonner”.
Ce que Rugy ne dit pas non plus, c’est que dans cet excellent documentaire, il est question du pogrom de Korsoun où, le 20 février, soit deux jours avant le coup d’Etat, huit bus de manifestants criméens anti-maïdan de retour de Kiev sont attaqués par une bande de néonazis qui en brûlent quatre, font 7 morts officiels et plus d’une vingtaine de disparus, montrant aux Criméens quel sort sera le leur après le putsch nationaliste, sous couvert d’adhésion aux “valeurs européennes”. Il ne dit pas non plus qu’après avoir empêché les néo-nazis du Pravy Sektor de venir déstabiliser la situation dans la presqu’île, et empêché une intervention de forces envoyées par Kiev par l’action conjointe des forces d’autodéfense locales et des 20 000 militaires russes présents légalement, l’OTAN entame des manoeuvres dans la mer Noire, dont le but était une intervention en Crimée, où elle rêve d’installer une base à la place des Russes. Le président Poutine prend alors la décision de déployer ouvertement des systèmes de missiles antinavires Bastion, d’une efficacité redoutable, ce qui fait rebrousser chemin à l’escorteur américain Donald Cook, qui commençait déjà à couvrir la Crimée par la portée de ses missiles Tomahawk. Pour finir, sur les 20 000 soldats ukrainiens lourdement armés présents dans la péninsule, à qui le choix a été offert, 2500 sont rentrés en Ukraine quand 18 000 se sont rangés volontairement sous les couleurs de la Russie plutôt que de servir les putschistes qui ont usurpé le pouvoir.
On peut d’ailleurs référer cette proportion au résultat du référendum qui rattache Sébastopol et la République autonome de Crimée à la Fédération de Russie, qui se conclut par une immense fête populaire, dont témoigne tous les observateurs présents, y compris des représentants de l’industrie médiatique occidentale. Tous ces événements remis en perspective permettent de comprendre que ni Désir, ni Rugy ne sont des démocrates quand l’un parle du “prétendu référendum du 16 mars 2014” et l’autre “du très contestable référendum – (qui) n’a de référendum que le nom – qui a conduit Vladimir Poutine à s’emparer de ce territoire”, quand il s’agit d’une libération dudit territoire par ses habitants eux-mêmes, certes avec la protection des forces armées russes, mais une protection demandée par ces mêmes habitants. Mais cette ignorance du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et cette hargne anti-démocratique de messieurs Rugy et Désir couvre en fait le désir de vengeance des Atlantistes, qui ne se remettent pas de la défaite de l’OTAN dans la dernière guerre, secrète, de Crimée, comme nous venons de le voir.

Ce qui explique qu’ils l’aient poursuivie par d’autres moyens. La première vague de sanctions, comme l’a rappelé Rochebloine qui lui aussi, en bon démocrate, parle de “l’annexion de la Crimée par la Russie”, a lieu dès le 17 mars 2014, au lendemain-même du référendum : “en réaction, l’Union européenne a fermement condamné l’annexion illégale de la Crimée, refusé de la reconnaître et a imposé des premiers gels d’avoirs ainsi que des interdictions de circulation aux personnes impliquées dans des actions contre l’intégrité territoriale de l’Ukraine”. Ce qu’il ne dit pas, c’est que ces sanctions sont prises conjointement avec les USA. De même lorsqu’il présente la deuxième vague de sanctions le 29 juillet 2014. A nouveau négligeant le souci du détail, il rappelle qu’elles ont été prises suite à l’abattage du MH17 de la Malaysia Airlines le 17 juillet “non loin de la ville de Chaktarm”, dit-il en trébuchant. Peut-être pense-t-il à la ville de Chakhtiorsk, en effet proche, mais le crash a eu lieu sur le territoire de la ville de Thorez, dont le nom certes rappelle toute une histoire qu’il n’a sans doute pas voulu évoquer, d’où le lapsus, et plus exactement à proximité du village de Grabovo, dont les habitants ont fourni des témoignages, notamment sur la présence de deux avions de chasse ukrainiens à proximité du boeing. Cette deuxième vague de sanctions a concerné des secteurs de l’économie russe, et n’a cessé de s’élargir depuis, bien que deux ans après les faits, aucune preuve de la responsabilité de la résistance du Donbass ou encore moins de la Russie n’ont été fournies, alors que l’Etat-major russe a apporté nombre d’éléments qui permettent d’attribuer le crash à un tir de missile ukrainien. Gageons que si les USA avait le moindre soupçon de preuve inverse, hormis le mensonge d’Obama en direct à la télévision, elle l’aurait publié depuis longtemps, ce qui prouve bien que ces sanctions visent un tout autre objectif, et en tout cas qu’elles n’ont pas lieu d’être pour le motif invoqué.

Ignorant le contexte dans lequel les sanctions ont été décidées, ainsi que taisant leur véritable commanditaire et ses objectifs inavoués, les députés, dans leur majorité, semblent également ignorer ce qui se passe réellement dans le Donbass. Dans une anaphore qui lui tient lieu d’approche de la réalité, le député socialiste Rémi Pauvros s’interroge : “Pouvons-nous faire l’impasse sur ce qui se passe dans le Donbass ? Pouvons-nous ignorer les tirs et les morts que l’on y déplore tous les jours ? Pouvons-nous considérer que tout cela est derrière nous et que la levée des sanctions enverrait un message de paix ?” Il est tout simplement scandaleux de laisser supposer que ces 12 000 morts du Donbass justifient les sanctions contre la Russie alors qu’ils sont dans leur immense majorité des civils visés systématiquement par les forces de Kiev avec des armes interdites par les conventions internationales : missiles, bombes à fragmentation et au phosphore. Avec la destruction des infrastructures civiles, il s’agit d’une opération d’épuration ethnique d’une population opposée au putsch de Kiev et à l’idéologie de ceux qui l’ont réalisé. Mais reprenant une campagne de la propagande atlantiste, Pauvros poursuit : “Pouvons-nous faire l’impasse sur le fait que dernièrement, malgré nos appels réitérés à faire preuve de compréhension et de sollicitude, une jeune pilote d’hélicoptère vient d’être condamnée d’une façon extraordinairement sévère, dans les conditions que l’on sait (sic), par un tribunal russe ?” Il s’agit de Nadejda Savtchenko, qui n’était pas pilote mais navigatrice et qui a démissionné de l’armée ukrainienne pour intégrer en 2014 l’un des bataillons néo-nazis sévissant dans le Donbass, le bataillon Aïdar, où elle a été correctrice de tirs. C’est à ce titre qu’elle a dirigé les tirs qui ont délibérément visé et tué deux journalistes russes, Igor Korneliouk et Anton Volochine, ce dont elle a été reconnue coupable, dans des conditions tout à fait normales, par le tribunal de Rostov-sur-le-Don.
Enchaînant sur son camarade Pauvros, Elisabeth Guigou, dans une conclusion houleuse déchaînant les protestations, joue les femmes de terrain en évoquant un récent voyage à Kiev, où elle a rencontré son homologue ukrainienne à la Rada, et où cette socialiste a vraisemblablement serré la main du président néo-nazi Parouby. Cela lui suffit sans doute pour apporter la preuve que la Russie ne fait pas “suffisamment pression sur les séparatistes pour que le cessez-le-feu soit effectif. Or, proteste-t-elle, il y a eu une centaine de violations de ce cessez-le-feu. Dimanche dernier encore, ce sont trois soldats ukrainiens qui sont morts.” Guigou est présidente de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, ce qui suppose qu’elle travaille ses dossiers et qu’elle cherche un minimum à s’informer sur les sujets qu’elle aborde ès qualités : cela lui aurait permis d’apprendre que la veille, à Elenovka, au sud-ouest de Donetsk, les néo-nazis du bataillon Aïdar ont délibérément visé la population civile avec des armes interdites faisant 6 morts, dont une femme enceinte, et plus de dix blessés (5). Ce dont même Le Monde s’est fait l’écho dans son édition du 27 avril, en donnant la version de la propagande de Kiev, comme à son habitude.

Tout cela n’empêche pas Guigou d’asséner avec candeur que la Russie ne respecte pas les obligations qui sont les siennes aux termes des accords de Minsk et que “seul le respect des accords créera les conditions d’une levée des sanctions”. C’est l’effet “levier”, le genre de gadget qu’on invente quand on n’a pas de politique ou que l’on veut masquer les véritables raisons de celle qu’on mène. “Effet levier” sur lequel ironise Giacobbi : “c’est en général ce qu’on dit quand on n’a rien à dire, surtout quand ça ne pèse pas grand-chose”. Lui-même semble cependant ignorer le contenu de ces accords, censés apporter une solution à la crise lorsqu’il résume : “tout en appliquant ces sanctions, nous contribuons, avec nos partenaires allemands, à la mise en oeuvre d’une feuille de route entre les Ukrainiens et les Russes – ce qu’on appelle les accords de Minsk”. C’est complètement méconnaître et le contenu de ces accords et le fond du problème de la crise ukrainienne, qui est en réalité une guerre civile – et il est d’ailleurs heureux qu’à l’Assemblée nationale ce matin-là un consensus ait été établi selon lequel il ne s’agit pas d’une intervention de la Russie dans l’Est de l’Ukraine. Mais précisément, parce que c’est une guerre civile, on ne peut en sortir que par un dialogue direct entre les deux parties, c’est à dire entre Kiev d’une part, et Donetsk et Lougansk de l’autre, ce que le point 12 des accords recommande explicitement, au moins pour l’organisation des élections, laquelle est déterminée par une réforme constitutionnelle et par un statut spécial accordé au Donbass, ce qui ne peut se faire qu’avec l’accord de ses représentants.
Dans la présentation de sa résolution, Mariani soutient que les accords de Minsk sont dans l’impasse, justifiant sa proposition de lever des sanctions préjudiciables à notre économie, avançant lui aussi de façon très rhétorique que “le cessez-le-feu est bafoué allègrement des deux côtés”. Mais il cite le nouveau ministre des Affaires étrangères Ayrault, qui aurait “tapé du poing sur la table et demandé au gouvernement ukrainien de respecter sa parole et de mettre en place (les) réformes” qui lui incombent aux termes des accords (7). Rochebloine enfonce également le clou : “il nous paraît inconcevable de justifier la poursuite des sanctions contre la Russie alors même que des entorses aux accords de Minsk sont le fait du pouvoir ukrainien”. Observant la même balance rhétorique que Mariani, Maréchal va cependant plus loin : “Aujourd’hui, le cessez-le-feu continue d’être violé en Ukraine, y compris du côté ukrainien, sans qu’aucune sanction soit pour autant envisagée à son encontre”. En effet, si les sanctions avaient pour véritable objet d’aboutir à une solution de la crise ukrainienne, en toute bonne logique, c’est ce qu’il faudrait faire, en prenant des sanctions par exemple contre tous ceux qui en Ukraine agissent en contravention à ces accords.

Mais le manque de cohérence se remarque à nouveau sur l’autre grand sujet de la situation internationale actuelle, celui de l’émergence de ce nouveau totalitarisme qu’est l’Etat islamique, et celui du Moyen-Orient en général, où le gouvernement actuel, dans la continuité du précédent d’ailleurs, navigue à vue, menant et appuyant une politique criminelle en Syrie comme en Libye, qui a pour conséquence des attentats de masse sur notre territoire et un afflux massif de migrants dans cet objet utopique qu’est l’espace de Schengen. A défaut de mener une politique cohérente et courageuse, on se raccroche à celle de la Russie, cette fois parée de toutes les vertus : Giacobbi, dans une belle cohérence de radical, alors qu’il va voter le maintien des sanctions, reconnaît qu'”entre le moment où nous avons décidé de traiter avec sévérité la Russie et aujourd’hui, nous nous sommes rendus compte que la Russie, avec tous ses défauts, était utile, voire indispensable (…) par exemple pour faire reculer Daech en Syrie”. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Rochebloine annonce qu’il va voter la résolution : “parce que l’Europe et la Russie ont un ennemi commun : l’Etat islamique et ses atrocités”. Maréchal, malgré ses cinq minutes, élargit elle le champ de la réflexion géopolitique avec plus de cohérence : “sanctionner la Russie, qui lutte précisément contre l’islamisme en Syrie, alors que nous commerçons avec les pétromonarchies du Golfe, revient à faire le jeu de l’Etat islamique”.

Car c’est cette capacité de réflexion géopolitique et de cohérence qui manque à bien des députés, qui s’en tiennent la plupart du temps à des allusions, à des pirouettes, sans jamais aborder franchement le sujet, signe d’une autocensure, qui tient au fait que notre classe politique, en général, n’est plus libre de ses paroles et de ses actes, prise entre le politiquement correct, le souci de la collégialité supranationale bruxelloise et une soumission de colonisé au pouvoir qui de fait la dirige : celui de Washington. Quand Mariani dit que ces sanctions ont été “décidées par l’Union européenne et fortement encouragées par les Etats-Unis”, il fait de la rhétorique creuse, il sait bien que ce n’est pas vrai. Et quand il limite sa critique à souligner que les sanctions profitent aux USA qui “alors que nos produits agricoles sont frappés d’embargo, l’entreprise américaine Bell a toute latitude pour construire une entreprise d’assemblage d’hélicoptères dans l’Oural”, certes il argumente en tâchant de ne pas choquer les chastes oreilles de ses collègues, mais le fond du problème n’est pas abordé. Sauf par le député du Front de gauche François Sensi pour qui ces sanctions “s’inscrivent dans une logique de blocs que l’on croyait disparue depuis la fin de la guerre froide. (…) Dès 1991, les pays occidentaux ont considéré que la dislocation de l’URSS annonçait la fin de l’histoire et la suprématie de l’atlantisme sur l’ensemble de la planète”. Et pour dire les choses clairement : si Kiev n’applique pas la part d’obligations qui lui revient, c’est que les Etats-Unis, ou des secteurs de l’Etat américain qu’il est convenu d’appeler “l’Etat profond”, encourage Kiev à ne pas le faire, pour conserver un “levier” sur le continent européen. Ils ne font pas partie du format Normandie, ce qui ne les engage pas dans la réalisation de ces accords, alors que ce sont eux qui ont réalisé le coup d’Etat et qui dirigent actuellement l’Ukraine. C’est dire si ces sanctions ont des chances d’être levées un jour. Si donc les députés étaient cohérents avec la logique des sanctions, ils devraient sanctionner et Kiev et Washington, et il y a certainement la possibilité de le faire.

Rugy, qui se défend que son groupe écologiste soit atlantiste, et qui dénonce un “arc politique” pro-russe dans l’Assemblée, prône “une politique européenne autonome au sein de la communauté internationale. Dans ce cadre, ajoute-t-il, il est inconcevable de lever ces sanctions, sans que la Russie ait respecté les accords de Minsk”. CQFD. Le tout appuyé sur un refrain bien connu : “Vous pensez que le salut viendra d’un accord direct entre la France et la Russie comme au temps de la guerre froide, quand on essayait de nous faire croire que la France pouvait jouer un rôle de non-aligné entre les Etats-Unis et la Russie”. L’ignorance de l’histoire, la France n’ayant jamais fait partie du Mouvement des non-alignés, et l’impolitesse à l’égard du général de Gaulle, pourrait d’ailleurs bien lui valoir, ainsi qu’à ses pairs, une rencontre avec la statue du Commandeur. Ecoutons-le dans la conclusion de son allocution du 10 août 1967 qui, si l’on remplace Vietnam par Ukraine, reste d’une surprenante actualité : ” Ainsi le fait que la France, sans renier aucunement son amitié pour les nations anglo-saxonnes, mais rompant avec le conformisme absurde et périmé de l’effacement, que la France, dis-je, prenne une position proprement française au sujet de la guerre au Vietnam ou du conflit au Moyen-Orient ou de la construction d’une Europe qui soit européenne ou du bouleversement qu’entraînerait pour la Communauté des Six l’admission de l’Angleterre et de 4 ou 5 autres Etats, ou des rapports avec l’Est, ou de la question monétaire internationale, ou, pas plus tard qu’hier, de l’unanime et indescriptible volonté d’affranchissement manifestée par les français du Canada autour du Président de la République française, tout cela stupéfie et indigne les apôtres du déclin”. Avant d’ajouter pour finir, car c’était de Gaulle : “Dans le drame célèbre de Goethe, Méphisto se présente ainsi : je suis l’esprit qui nie tout. Or en écoutant les conseils de Méphisto, l’infortuné Docteur Faust va de malheur en malheur jusqu’à la damnation finale. Françaises, français, nous n’en ferons pas autant. Repoussant le doute, ce démon de toutes les décadences, poursuivons notre route, c’est celle d’une France qui croit en elle-même, et qui par là s’ouvre l’avenir” (8).

Le vote de la résolution proposée par Mariani et ses collègues, qui ne sont pas venus voter pour la plupart, a surpris. En fait il semble résulter d’un relatif consensus, avec le sentiment que de toutes façons cela n’engageait à rien puisque la décision revient au Conseil européen. Il n’en demeure pas moins que ce vote transversal, puisqu’il réunit Les Républicains, en tous cas ceux qui étaient présents dans l’hémicycle jeudi, le Front national, l’UDI, un Radical sur deux, les Socialistes “qui ont voté avec leurs pieds” et le Front de gauche, témoigne de la montée d’une grogne nationale à l’égard de sanctions décidées au premier chef par Washington et ses alliés atlantistes de Bruxelles, dommageables à l’économie française. Des raisons témoignant d’un début de prise de conscience sur la situation réelle ont également été exprimées, notamment par Pierre Lellouche, un déçu de la révolution orange, ou par Rochebloine, pourtant centriste, un déçu lui de l’Union européenne atlantiste : “L’Europe a ici fait preuve d’une léthargie coupable en se montrant incapable d’endiguer l’escalade de violence et en marchant dans les pas des Etats-Unis, quitte à oublier ses propres intérêts”.
Ce vote témoigne aussi peut-être d’un début de changement de polarité du champ politique français qui désormais ne serait plus structuré par l’opposition droite gauche mais par celle entre démocrates souverainistes partisans de la coopération des Etats indépendants dans le cadre d’un monde multipolaire d’une part et post-démocrates supra-nationaux partisans d’un assujettissement des peuples à la suprématie américaine universelle de l’autre.

Ce changement de polarité détermine sans doute en partie la crise de régime que connaît la France depuis nombre d’années, mais qui parvient aujourd’hui à sa phase terminale. Quand Désir fait platement son discours de fonctionnaire européen, en ignorant le changement à la tête de son ministère de tutelle et la façon dont Ayrault a tancé Kiev en présence du ministre russe Lavrov, Guigou, avec une absence de logique sidérante, commence par dire qu’elle est pour la levée des sanctions pour annoncer immédiatement après qu’elle appelle à voter contre la résolution. Il y a donc fort à parier que le président Hollande, qui s’est laissé traiter comme un valet par le président américain lorsqu’il est venu lui présenter son projet d’alliance militaire contre l’Etat islamique avec la Russie au lendemain des attentats du 13 novembre, se laisse aller une fois de plus à une unanimité confortable au Conseil européen de juin devant décider de la reconduction des sanctions, qui lui évite une fois de plus de prendre ses responsabilités et de respecter le vote de la représentation nationale alors qu’il s’est lui-même prononcé pour la levée de ces sanctions, ainsi que ses ministres Le Foll et Macron. D’autant que Washington n’a pas tardé à réagir : le lendemain même du vote à l’Assemblée, l’Italien Matteo Renzi, pourtant très critique en paroles, s’est couché devant le vice-président Biden, avec qui il a répété en choeur le mantra guigoulien : “les sanctions ne doivent pas être levées avant que les accords de Minsk sur le règlement du conflit en Ukraine ne soient respectés” (9). Quand on pense que ce proconsul d’Ukraine qu’est Biden a un fils investi dans l’épuration ethnique du Donbass pour ses intérêts dans l’exploitation de gaz de schiste, c’est tout simplement à vomir.

Il reste que ce vote est une belle victoire à porter au crédit du député Mariani, représentant de l’étranger pour une zone qui comprend la Russie. Il est par ailleurs co-responsable avec Vladimir Yakounine, un proche de Vladimir Poutine, de l’association Dialogue Franco-Russe, qui réunit nombre de dirigeants de grosses entreprises russes et françaises pour promouvoir les échanges économiques entre les deux pays. Une position propre à nourrir les phantasmes des partisans de la théorie du complot, outre ses voyages en Crimée et à Moscou dans lesquels il entraîne un certain nombre de ses collègues. Tout cela lui donne un poids plus important sur la scène politique française et internationale, reste à savoir ce qu’il va en faire. Auprès des “Français libres”, une appellation quelque peu usurpée par les partisans de Nicolas Dupont-Aignan à Moscou, il “a confirmé qu’il soutenait Fillon dans le cadre de la primaire des Républicains et a par ailleurs exprimé son grand scepticisme quant à une victoire possible du Front National dans des élections dans un avenir proche (notamment en 2017)” (10). Ce qui constitue une prise de position plutôt qu’une analyse développée et pertinente. François Fillon, très présent dans l’hémicycle jeudi dernier, défend la nécessité d’une alliance stratégique avec la Russie, qui elle se satisfait de l’euro et de l’UE dont Marine Le Pen propose de sortir. Fillon monte dans les sondages dans la perspective de la primaire et n’hésite pas à parler de la décadence de la France dont il propose de la sortir quand Juppé, candidat de l’oligarchie transnationale en remplacement de Hollande qui n’a pas su faire ses preuves, curieusement caracole en tête. Entre véritable alternative et rôle d’influence – choix auquel est également confronté le député Jacques Myard, lui aussi très présent ce matin-là dans l’hémicycle, qui vient d’annoncer son entrée en lice pour les primaires des Républicains – il va bien falloir que les uns et les autres prennent leurs responsabilités pour faire face à une situation qui nécessite une politique cohérente, laquelle commence par nommer les choses telles qu’elles sont.
Le mot de la fin revient au député Dhuicq, qui a indiqué l’avenir : “Mes chers collègues, dans quinze à vingt ans, les liaisons ferroviaires vont se développer sur le continent eurasiatique. Elles permettront l’exportation vers la Chine de produits à haute valeur ajoutée en quinze jours au lieu des quarante-cinq qu’autorise aujourd’hui la voie maritime. La France aussi devrait prendre part à ce grand essor”. La fin de la domination des puissances maritimes anglo-saxonnes est ainsi inscrite dans le grand livre de l’histoire universelle, que le président Obama voudrait retarder par la création d’un bloc occidental au moyen des traités transpacifique et transatlantique, alors qu’il existe l’OMC, comme l’a justement remarqué le président Poutine.

Frédéric Saillot, le 2 mai 2016.

(1) http://ria.ru/world/20150212/1047311428.html
(2) Voir : https://www.youtube.com/watch?v=zgtjaiMXJew
(3) http://vz.ru/world/2016/4/23/807031.html
(4) http://www.dailymotion.com/video/x2lr5nl
(5) http://ria.ru/world/20160427/1421376758.html
(6) http://www.lemonde.fr/europe/article/2016/04/27/quatre-civils-tues-lors-d-un-bombardement-en-ukraine_4909730_3214.html#xtor=AL-32280270
(7) Voir à ce sujet : http://www.lefigaro.fr/international/2016/04/19/01003-20160419ARTFIG00351-ayrault-sermonne-kiev-et-epargne-moscou.php
(8) http://fresques.ina.fr/de-gaulle/fiche-media/Gaulle00137/allocution-du-10-aout-1967.html
(9) https://fr.sputniknews.com/international/201604301024651565-sanctions-russie-renzi-biden/
(10) https://francaislibres.org/2016/04/17/thierry-mariani-evoque-a-moscou-son-initiative-du-28-avril-prochain/