Arrêter Poutine

Comme jadis au Vietnam les USA ou en Afghanistan l’URSS, Poutine reçoit à son tour en Ukraine en leçon qu’un pouvoir, aussi puissant soit-il, ne peut rien contre un peuple en armes. Il peut certes l’écraser sous les bombes, à défaut d’avoir pu la vaincre par une armée qui révèle ainsi au monde son insuffisance, mais il ne peut vaincre l’esprit de résistance et la volonté de liberté et d’indépendance d’une nation qu’il aura contribué à définitivement installer dans le concert international. Reprenant à son compte la doctrine Brejnev, il s’imaginait pouvoir rétablir la puissance de l’URSS, comme si l’époque des sphères d’influence contraintes n’était pas définitivement révolue, ignorant que la seule influence qui compte désormais est celle choisie par les peuples. Il menace ainsi gravement la sécurité internationale et, détruisant l’Ukraine, il détruit par là-même la Fédération de Russie, et son propre pouvoir. Après plus d’un mois de guerre, alors que s’amorce un décrochage de ses ambitions sur Kiev pour un redéploiement dans l’objectif initial du Donbass, toujours pas “libéré”, il accumule les difficultés sur les plans militaire, économique et politique. Et, alors que les négociations entre Kiev et Moscou semblent avoir trouvé un point d’accord à Istamboul, il diffère le cessez le feu exigé par l’ONU pour tâcher d’obtenir un succès militaire significatif, qui justifierait aux yeux de l’opinion russe la folle aventure dans laquelle il a engagé le pays.

Rappelons que le 24 février l’objectif militaire initial de Moscou était, tout en entreprenant une offensive sur la partie du Donbass où sont concentrées une part significative des forces ukrainiennes, de réaliser une opération commando sur Kiev pour y renverser le pouvoir et y installer une tête de pont. Cette opération a échoué, révélant les capacités des forces ukrainiennes. La soi-disant “seconde armée du monde”, jusque-là engagée dans des conflits secondaires, s’est alors avérée impuissante sur un théâtre d’opération européen. A l’exemple de l’armée française, elle n’est formée que pour des opérations extérieures d’objectif et de durée limités, les OPEX, comme celles réalisées récemment au Kazakhstan ou au Karabakh. Celle-ci ayant échoué devant Kiev, l’improvisation d’une opération classique a été désastreuse. Ses conscrits ont été massacrés en nombre dans les colonnes descendues de Biélorussie et plusieurs de ses officiers supérieurs ont été tués au combat, si bien qu’elle à dû faire appel à des supplétifs de tous ordres.

Si selon le ministère russe de la Défense, au 25 mars l’armée ukrainienne aurait perdu 7000 combattants au Donbass (1), à Marioupol – verrou stratégique sur la mer d’Azov appartenant à la région de Donetsk dont Moscou a reconnu l’indépendance – sur trois régiments russes engagés, l’un aurait été détruit, un autre l’aurait été à 70 %, et le troisième retiré pour “restructuration” (2). Strelkov-Girkin, ancien officier du renseignement militaire russe et initiateur de la résistance armée au Donbass en 2014, peu avare de critiques envers la réalisation technique de l'”opération spéciale en Ukraine” (3), dément d’ailleurs l’assaut qui serait donné actuellement par les supplétifs tchétchènes de Kadyrov à l’usine Azovstal, propriété de l’oligarque Rinat Akhmetov, qui employait 40 000 travailleurs, où sont retranchées une partie des forces ukrainienne défendant la ville (4). Enfin selon Rouslan Leviev, du Conflict intelligence Team, au 2 avril 2022 les pertes russes vérifiées en hommes seraient de 5000 tués, quant aux pertes techniques – notamment 2000 véhicules blindés – elles seraient au point que la Fédération de Russie mettra des années à les reconstituer, alors que son économie est étranglée, tandis que l’Ukraine bénéficie de l’aide occidentale. Et plus le temps passe, plus les forces ukrainiennes seront mieux armées et mieux en état de combattre que l’envahisseur.

Cet échec ayant fini par être pris en compte, un redéploiement a été décidé sur l’Est et le Sud de l’Ukraine. Le ministre russe de la Défense Choïgou a déclaré le 29 mars que “les principaux objectifs de l’opération spéciale étant accomplis”, ce qui ne manque pas de sel, “on peut se concentrer sur l’objectif principal – la libération du Donbass”. Les forces russes, ou ce qu’il en restait, ont donc reculé devant les contre-attaques de la défense ukrainienne au nord de Kiev, mais l’on ignore pour l’heure si elles vont être restructurées et repositionnées pour une nouvelle offensive sur la capitale. Des crimes de guerre sur de nombreux civils – dont des dizaines de cadavres qui auraient été exécutés par la soldatesque russe, dont le ministère russe de la Défense prétend qu’il s’agit d’une mise en scène – ont été révélés dans les localités de la banlieue de Kiev occupées pendant près d’un mois, sur lesquelles des enquêtes sont en cours. Il est en tout cas à craindre, que face à l’échec opérationnel au sol, les forces fédérales russes ne poursuivent une stratégie destructive de bombardements tous azimuts, comme à Kharkov, Marioupol et d’autres villes du sud de l’Ukraine, dans une guerre totale contre une population qui, contrairement aux attentes, est loin de les accueillir en “libératrices”.

L’échec opérationnel russe est d’ailleurs en grande partie causé par un énorme problème de logistique, mais surtout de communication : la communication interne à l’armée, la communication entre les différents échelons du pouvoir, et notamment entre la décision politique et l’application militaire. Dans un système vertical où elle circule essentiellement du haut vers le bas, elle ne remonte ni vers le sommet ni ne circule latéralement, ce qui crée une inertie et une incapacité d’adaptation rapide aux circonstances, incompatible avec les aléas des combats, notamment dans le cas d’une résistance imprévue par le schéma de compréhension du sommet. Qui plus est les conditions de terreur politique liée à la circulation de l’information engendrent une censure de la réalité ainsi qu’une pratique généralisée du mensonge. C’est la raison pour laquelle le pouvoir s’est assuré préalablement au déclenchement d’une guerre qu’on ne peut nommer comme telle sous peine d’écoper de 15 ans d’emprisonnement, d’anéantir toute opposition politique et d’éliminer la presse libre. Les journalistes qui ont entrepris de témoigner de la réalité d’une guerre qui ne dit pas son nom, sont d’ailleurs systématiquement pris pour cible. Enquêtant sur la frappe d’un centre commercial à Kiev, Oksana Baoulina, journaliste russe d’Insider, par ailleurs militante du Fonds de lutte contre la corruption de Navalny, aurait été tuée par un drone le 23 mars. Auparavant elle avait réalisé des interviews de prisonniers russes à Lviv (5), des conscrits, contrairement aux allégations de Poutine (6).

Le 22 mars, deux journalistes de l’agence Associated press font le récit des vingt jours qu’ils ont passés à Marioupol. Recherchés par les soldats russes, ils ont été cachés par les médecins de l’hôpital puis exfiltrés par les forces ukrainiennes, enjeu inestimable sur la vérité du siège de la ville, dont ils témoignent par la parole et l’image (7). L’un d’eux, Mstyslav Chernov, explique : “Tout en bombardant les Russes ont coupé l’électricité, l’eau, le ravitaillement, et pour finir, point crucial, les téléphones portables et les antennes radio-télé. La poignée des autres journalistes qui se trouvaient dans la ville sont partis avant que toute connexion ne devienne impossible et qu’un blocus total ne soit installé. L’absence d’information dans un blocus vise deux objectifs. Le premier, créer le chaos. Les gens ne savent pas ce qui se passe et ils paniquent. Je n’ai d’abord pas compris pourquoi Marioupol s’était effondrée si vite. Maintenant je sais que c’est à cause du manque de communication. Le second objectif est l’impunité. Sans information en provenance de la ville, il n’y aurait aucune image des immeubles détruits et des enfants mourant, les forces russes pouvaient faire ce qu’elles voulaient. Sans nous, rien ne se serait passé. C’est pourquoi nous avons pris tant de risques pour envoyer au monde ce que nous voyions, et c’est ce qui a mis la Russie suffisamment en colère pour nous traquer”. Ils pensaient être les derniers journalistes à être restés dans Marioupol assiégée et coupée du monde. Le 3 avril on apprenait l’assassinat du réalisateur lituanien Mantas Kvedaravicius, “caméra au poing, dans cette guerre de merde du mal contre le monde entier”, selon les mots du réalisateur russe Vitali Manski, alors qu’il tentait de sortir de Marioupol. Et rappelons qu’il y aurait eu près de 300 morts sous les décombres du théâtre de la ville bombardé, où étaient réfugiées un millier de personnes, dont on ne sait rien, ni rien non plus des centaines d’autres victimes civiles (8).

Ce défaut structurel de la communication en Fédération de Russie explique également l’échec du régime Poutine à sortir le pays d’une économie de rente sclérosée par la corruption et à entreprendre une diversification. La guerre économique déclenchée par l’Occident en réponse à l’agression de l’Ukraine devrait considérablement aggraver la situation. Selon certains observateurs russes, la Fédération de Russie pourrait se retrouver dans la même situation que dans les années 90, à la différence près qu’à cette époque elle se trouvait dans un contexte de dynamisme économique causé par la libération de l’économie planifiée, la sortie du régime totalitaire et les investissements étrangers, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. La chute brutale du cours du rouble, le gel des réserves russes et le départ des entreprises étrangères ont pour effet une baisse du pouvoir d’achat, l’arrêt des importations de produits essentiels et l’augmentation du chômage. Tout cela aura pour conséquence la fermeture des petites entreprises qui sont pourvoyeuses d’un nombre significatif d’emplois en Fédération de Russie. Le bloc libéral qui gère les finances fait comme il peut pour répondre à la situation. L’issue n’est cependant pas technique mais politique, seul un changement de régime permettrait à la Russie d’entreprendre un réel développement. La parade trouvée consistant dans le paiement des hydrocarbure en roubles, qui fait rêver certains à une fin du système financier international prévalant jusque-là, n’est qu’un subterfuge et il aura pour conséquences une diversification de l’approvisionnement occidental en énergie, voire à terme une cessation des livraison russes, comme l’a laissé entendre l’Allemagne, principal consommateur, laissant Poutine, et malheureusement avec lui la population russe, Gros-Jean comme devant.

Mis en échec sur les plans militaire et économique, il l’est peut-être encore plus sur le plan politique. Car le conflit qui l’oppose à l’Ukraine, dont il nie la réalité de nation indépendante et qu’il nomme “l’anti-Russie”, est essentiellement de nature politique. Il n’est qu’à comparer la communication d’un Zelenski, jeune président ouvert et chaleureux adressant au monde des messages en selfie de sa capitale bombardée, avec l’image has-been d’un Poutine bunkerisé, le visage poupin ravalé par la cosmétique, à côté de sa batterie de téléphones au design soviétique, privilégiant la communication monologique par visio-conférence devant les figurants de son Conseil de sécurité ou de son gouvernement. Le 25 février, au lendemain du déclenchement de son “opération spéciale”, un Poutine plus hargneux qu’à l’ordinaire s’adressait “aux soldats de l’armée ukrainienne : ‘Ne permettez pas aux néonazis et aux bandéristes d’utiliser vos enfants, vos femmes et vos vieux comme boucliers vivants. Prenez le pouvoir dans vos mains, il nous sera plus facile de nous entendre avec vous qu’avec le gang de narcomanes et de néonazis qui s’est installé à Kiev et qui a pris en otage l’ensemble du peuple ukrainien'” (9). Poutine parlai ainsi d’un président élu démocratiquement par une grande majorité des électeurs ukrainiens. Le moins qu’on puisse dire est que l’armée ukrainienne ne l’a pas entendu, qui était en train de tailler en pièces les unités spéciales russes larguées la veille au nord de Kiev.

Zelenski a alors atteint la stature qui est la sienne aujourd’hui, incarnant et dynamisant la résistance de son peuple, largement uni dans l’épreuve. L’un des buts de la guerre entreprise par Poutine était de le renverser, voire de le tuer comme Zelenski l’a lui-même déclaré, pour installer à sa place un fantoche à sa solde. N’y étant pas parvenu, le 7 mars, l’une des conditions posées par la Fédération de Russie dans les négociations en cours, aurait été la nomination de Iouri Boïko, chef de la Plateforme d’opposition – Pour la vie (PO-PV), parti pro-russe, au poste de premier ministre, Zelenski conservant une présidence symbolique. Boïko s’était d’ailleurs présenté aux présidentielles de 2019, recueillant 11,37 % des voix au premier tour. Certes il n’avait pu bénéficier des voix “russophones” des parties du Donbass autoproclamées indépendantes et de celles de Crimée, mais les voix des “russophones” du reste du pays se sont également portées sur Tymochenko (13,40 %) et Zelenski (30,24 % au premier tour), lequel l’a emporté avec 73,22 % au second tour, contre son concurrent Porochenko (15,95 % au premier tour, 24,45 au second). Le jour même Boïko déclarait que “l’armée russe avait accompli une agression contre l’Ukraine” et le 9 mars, au nom du Conseil stratégique du PO-PV, il appelait à rejoindre massivement la défense territoriale, comme le faisaient de leur côté Porochenko et Timochenko. Raison sans doute pour laquelle la porte-parole du MID déclarait ce jour-là : “parmi les objectifs de l’opération spéciale en Ukraine n’entre pas le renversement du gouvernement actuel”.

L’erreur politique majeure du pouvoir poutinien, plus motivé par ses chimères que par une réalité qui lui échappe, est en effet d’avoir cru que les “russophones” d’Ukraine, recevraient l’armée russe comme une force libératrice, comme cela avait été le cas en 2014 en Crimée. Le président Zelenski a d’ailleurs ironiquement choisi la maison aux chimères, qui fait face au palais présidentiel à Kiev, comme arrière-plan d’une de ses récentes vidéos. Mais hormis peut-être dans les parties du Donbass autoproclamées indépendantes, cela semble ne pas être le cas. Quotidiennement des manifestations pro-ukrainiennes ont lieu dans les villes occupées du sud-est, réputées “russophones”, qui commencent à être brutalement réprimées, comme le 3 avril à Kakhovka, ou au nord de Kiev à Enerdograd, la ville dortoir des employés de Tchernobyl. Selon les données de Kiev, l’armée russe aurait enlevé onze maires des communautés locales occupées. Olga Souchenko, mairesse d’un village de la région de Kiev, détenue par les forces russes, a été retrouvée morte assassinée avec son mari et son fils le 2 avril lors de sa libération par les forces ukrainiennes.

Les offres de collaboration faite aux élus locaux par les occupants sont rejetées. Le maire de Nikolaev, porte d’entrée sur Odessa, en accord avec le chef de la région, a déclaré que “la population de Nilkolaev ne veut pas voir ici de pouvoir russe”. La tentative de créer à Kherson une “République populaire de Kherson” s’est heurtée au refus des quarante-quatre députés du Conseil régional, qui, à la majorité absolue, ont voté pour le maintien de la région de Kherson dans la composition de l’Ukraine. Seule à Melitopol – dont le maire avait été enlevé par les forces russes puis a été libéré en échanges de 9 prisonniers russes – une conseillère municipale, Galina Daniltchenko, a été “nommée” par les forces russes à la direction de la ville, qui a appelé les habitants à “régler les mécanismes en fonction de la ‘nouvelle réalité'”. Elle fait partie du Bloc d’Opposition, une scission du PO-PV sous l’égide de l’oligarque Rinat Akhmetov. Lequel possède également des entreprises à Donesk, et a récemment décidé de porter plainte contre la Fédération de Russie pour les destructions à Marioupol. Zelenski, un russophone qui s’exprime officiellement en ukrainien, résume ainsi la situation créée par l’agression russe : “En Ukraine il n’y a pas et il n’y a jamais eu de problème linguistique. Et voilà que maintenant vous, les occupants russes, vous créez ce problème. C’est vous qui faites tout pour que nos concitoyens eux-mêmes fuient la langue russe”.

Tous ces échecs vont-ils ramener Poutine et son entourage à la raison ? Le fait est que dans les négociations entamées dès le début du conflit, les exigences surréalistes de démilitarisation et de “dénazification” se limitent à l’interdiction des partis néo-nazis et “ultra-nationalistes”- ce qui de la part d’un pouvoir lui même ultra-nationaliste ne manque pas de piquant – et à celle des “armes offensives”. Significativement, dans un espace où le symbolique tient parfois lieu de réel, elles se sont déplacées de la forêt de Bialowieza, où avait été décidé la fin de l’URSS et la création de la Communauté des Etats indépendants, à l’ancienne métropole byzantine orthodoxe de Constantinople, Istamboul. Repoussant habilement la question du Donbass et de la Crimée à d’ici quinze ans, Kiev a proposé un accord sur la langue et la neutralité qui, le 2 avril, a rencontré l’accord “oral” de Moscou. Concernant l’enseignement en russe en Ukraine, Zelenski a proposé l’ouverture d’écoles privées pour ceux qui le désirent, à condition de la possibilité d’ouverture d’écoles privées d’enseignement en ukrainien en Fédération de Russie (10). Concernant la statut de neutralité de l’Ukraine exigé par Moscou, Kiev s’engage à ne pas se doter de l’arme atomique, à ne pas laisser s’installer sur son territoire des bases et des unités combattantes étrangères, à n’entreprendre des exercices militaires qu’avec l’accord d’Etats garants, à savoir les Etats membres du Conseil de sécurité de l’ONU, l’Allemagne, le Canada, la Pologne, la Turquie et Israël. Dans ce cadre, après accord des Etats concernés, l’Ukraine accepterait un statut neutre. Mais cet accord, a rappelé Zelenski, devra être confirmé par referendum, et la modification constitutionnelle qu’il implique devra être ratifié par la Rada. Il propose donc de le signer lors d’une rencontre avec Poutine, les forces russes regagnant préalablement leurs positions antérieures au 24 février.

Le porte-parole du Kremlin a cependant mis un frein à cette perspective qui pourrait être prochaine, déclarant que ce qui était sur la table des négociations “nous n’en discutons pas en public, car nous estimons que les pourparlers doivent se dérouler dans la discrétion”. Voilà donc la diplomatie poutinienne revenue aux usages, après avoir publiquement adressé des ultimatums fin 2021 à ses “partenaires” du format Normandie, concernant la réalisation des accords de Minsk, puis aux USA et à l’OTAN sur le retrait exigé de leurs forces aux positions antérieures au 27 mai 1997. Exigence liée à celle de la neutralité de l’Ukraine considérée comme faisant partie de sa zone d’influence. Les chancelleries occidentales se demandent donc, comme le faisaient leurs prédécesseurs face aux exigences territoriales de Hitler sans cesse renouvelées au cours des années trente, jusqu’où est prêt d’aller Poutine. L’ultimatum du 17 décembre est pourtant clair : il s’agit de faire reculer l’OTAN aux frontières allemandes, laissant toute l’Europe centrale ouverte à ses appétits. La question lui est alors retournée : jusqu’où est-elle prête d’aller pour défendre “chaque centimètre carré” de son territoire, comme l’a déclaré Biden à Varsovie le 26 mars, pour arrêter Poutine dans sa folle et sanglante entreprise. Ce qui implique, outre une opération terrestre, le risque d’un conflit nucléaire face à celui qui a brisé le tabou sur ce qui était jusque-là resté une force de dissuasion, voulant rééditer la transgression états-unienne d’Hiroshima, qui reste pour lui un modèle dans lequel se mirer. Un risque d’ailleurs déjà présent dans la montée en puissance des livraisons d’armes offensives aux forces ukrainiennes, pour leur permettre de contrer l’offensive russe qui se prépare dans le Donbass et sur Kharkov.

Car il ne faut pas se faire d’illusions sur Poutine. L’homme n’est plus le “centriste” que nous vendaient les spécialistes, maintenant un équilibre entre libéraux et nationalistes. Il est lui-même devenu un partisan des théories fumeuses du “monde russe” voire du néo-eurasisme prôné par l’idéologue délirant Douguine. Il a patiemment opéré son coup d’Etat rampant, son 18 Brumaire, qui l’installe à la tête d’un régime que l’on peut considérer comme fasciste, structuré par une idéologie ultra-nationaliste, des forces de sécurité pléthoriques – à défaut d’une armée efficace – un système politique à sa dévotion, dont la moindre opposition a été éradiquée, et une censure obsessionnelle qui traque le moindre manquement à l’idéologie obligatoire d’Etat. Si pour l’heure l’on n’observe pas de répression sanglante comme aux époques bolchévique et stalinienne, que la fermeture de l’association Memorial vise à nier, les arrestations, les procès truqués, se multiplient. Près de 200 000 Russes, en majorité des jeunes diplômés, l’élite de la nation, ont fui un pays où sévit la délation. Dénonçant l’utilisation par le “collectif occidental” d’une “cinquième colonne” pour diviser le pays, Poutine, toujours plus hargneux, en a donné le signal le 17 mars, en vidéo-conférence devant les gouverneurs, dans le langage ordurier et menaçant qui le caractérise : “tout peuple, et a fortiori le peuple russe, pourra toujours distinguer les vrais patriotes des racailles et des traîtres et de simplement les cracher, comme un moucheron atterri par hasard dans sa bouche, de le cracher sur le trottoir”. Suite à cela, Alexeï Venediktov, directeur de la radio Echo Moscou, une institution née de la révolution qui a mis fin à l’URSS, et qui avait jusque là survécu à la vague de réaction poutinienne, désormais fermée, a retrouvé devant sa porte une tête de porc avec l’inscription “judensau”, “truie juive”. Sans aucune réaction officielle. Comme il en a fait la remarque : “l’opération antinazie est en Ukraine, mais les nazis sont à Moscou”.

Frédéric Saillot, le 5 avril 2022

(1) https://ria.ru/20220325/ukraina-1780104934.html?utm_source=push&utm_medium=browser_notification&utm_campaign=ria.ru
(2) https://t.me/khodorkovski/6023
(3) https://caliber.az/ru/post/62131/
https://t.me/SerpomPo/15269
https://t.me/strelkovii/2334
(4) https://t.me/strelkovii/2342
https://t.me/strelkovii/2362
(5) https://meduza.io/news/2022/03/24/timur-olevskiy-oksanu-baulinu-v-kieve-ohranyali-sotrudniki-sbu-i-politsii-ona-mogla-pogibnut-v-rezultate-udara-bespilotnika
(6) https://ria.ru/20220308/voennye-1777100785.html
(7) https://apnews.com/article/russia-ukraine-europe-edf7240a9d990e7e3e32f82ca351dede
(8) La photo illustrant l’article, est l’un de celle prise par l’équipe d’AP à Marioupol, celle d’une fosse commune, comme il en a été retrouvé d’autres dans les communes au nord de Kiev après le départ des troupes d’occupation.
(9) https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=hE_Gq_zrJX0
(10) https://t.me/aavst2022/1139