Le coronavirus, le confinement, et après ?

L’on peut s’interroger sur ce qui serait resté de la société française si au lieu de coronavirus nous avions dû affronter une véritable guerre, bactériologique celle-là. Alors que nos voisins allemands s’y sont préparés dans le cadre de manoeuvres militaro-civiles qualifiées “Clade X Pandémie” en 2018 (1), ce qui expliquerait la plus grande efficacité, notamment en termes d’infrastructures et de moyens techniques et industriels, avec laquelle ils font jusqu’à présent face à l’épidémie, leur armée, ne servant pas à grand chose depuis 1945, et notamment pas au combat contre le terrorisme islamique, essentiellement consacrée à la logistique d’une telle éventualité. Alors que la France, l’ingénue de la mondialisation en termes de délocalisations et de transferts de technologie de ses industries, notamment en Chine, dotée d’élites d’une naïveté très performante, a été condamnée au confinement à l’intérieur de frontières qui elles pouvaient rester largement ouvertes aux porteurs de virus, en l’absence de masques, de tests massifs et de suffisamment de places en réanimation dans un hôpital public “drastiquement” austérisé. La sortie progressive du confinement annoncée par Emmanuel Macron le 13 avril n’a d’ailleurs été fixée au 11 mai que parce que ce n’est qu’à cette date qu’il y aura suffisamment de masques et de tests pour le permettre. On relira d’ailleurs à ce sujet la prophétique conférence de Claude Revel le 10 février devant le Cercle Nation République (2). Ce n’est pourtant pas faute d’avoir été également averti par Bill Gates et la CIA dès 2015, comme le rappelait récemment Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères et observateur iconoclaste de l’évolution de la situation internationale, lors d’une interview à Radio-Classique (3) .

Reste que l’actuelle pandémie n’a fait jusqu’à présent que 120 000 morts de par le monde, tandis que la grippe espagnole en aurait fait jusqu’à 100 millions en 1918-1919. Elle n’en a pas moins stoppé l’économie mondiale et fait chuter les bourses et les prix du pétrole, avec pour horizon un chômage massif et une misère sociale non moins ravageuse. Révélant les carences systémiques de la mondialisation telle qu’elle a fonctionné jusqu’à présent, elle conduit à s’interroger sur le modèle à mettre en place une fois la situation sanitaire stabilisée, au moins provisoirement. A commencer par la définition des responsabilités : tout d’abord celle de la Chine, foyer de départ de l’épidémie, possédant des bouillons de culture médiévaux comme le marché aux animaux de Wuhan, peu en accord du point de vue des règles d’hygiène avec ses activités commerciales internationales, et celle de pays qui, comme la France, n’ont pas fermé leurs frontières aériennes avec elle, ni ses frontières terrestres avec l’Italie, prenant ainsi le relais de la pandémie, pour des raisons idéologiques dont il conviendrait d’instruire le caractère criminel.

Contrairement à la Fédération de Russie, qui elle a fermé d’emblée ses 4250 kilomètres de frontières avec la Chine, ce qui pourrait expliquer la moindre progression chez elle du virus jusqu’à présent. Il convient également d’ajouter, comme l’a révélé l’écrivain Mikhaïl Veller dans Argumenty i Fakty, que “dans les villes du nord de l’Italie sont nés des quartiers entiers d’ateliers de confection chinois, dans lesquels se trouvent rien qu’officiellement plus de 100 000 ouvriers, quant aux illégaux, personne ne les compte. Ils cousent les vêtements des marques de mode italiennes “made in Italy”, dans la mesure où les lois de l’UE ont commencé à combattre sévèrement les contrefaçons et imposé des droits à l’importation. Au Nouvel An chinois, le 25 janvier, une partie d’entre eux se sont envolés au pays, principalement dans ce même Wuhan d’où est partie la pandémie, et sont revenus… Mais en parler n’est pas politiquement correct, d’autant plus que la corruption s’en mêle. Ainsi que du nombre de Chinois parmi les morts en Italie” (4).

Le fait est que s’il y a un parallèle à faire entre la situation actuelle et la dernière guerre, il est plutôt dans les discours révolutionnaires qui ont prévalu à l’époque dès la veille de la Libération : on allait exproprier la bourgeoisie compromise, le peuple prendrait enfin son destin en main dans le cadre d’une république sociale, que les communistes espéraient d’emblée socialiste, avec l’appui du génial Staline. Que l’on prenne les discours de l’époque, y compris de gens classés à droite, on sera surpris par leur unanimité : on allait repartir sur d’autres bases, plus rien ne serait comme avant. On connaît la suite : grâce au général de Gaulle le péril communiste a été évité et un modèle de société fondé sur le compromis a pu s’établir, permettant à la France de se moderniser et de regagner son rang parmi les nations. Quant à la situation présente, Védrine observe trois types de discours qui dessinent les clivages et les orientations à venir.

Il commence par rappeler que le mécontentement des Français sur la gestion chaotique de la crise par le gouvernement s’inscrit dans un contexte antérieur de crise de la démocratie représentative, “d’où l’inquiétude que l’on voit à travers beaucoup de commentaires à l’idée que la Chine puisse démontrer la supériorité de son système, ce qui serait trop simple de penser ça d’ailleurs, c’est plus compliqué, parce qu’il y aura des choses à demander à la Chine aussi après sur plein de sujets”. Il reste cependant optimiste : “mais je répète même s’il y avait pas eu cette pandémie, c’est un énorme challenge de redémontrer l’efficacité de la démocratie représentative pour régler les problèmes d’aujourd’hui. Alors évidemment c’est encore plus compliqué mais comme il y a ce drame collectif il n’est pas exclu qu’il y ait des réactions, qu’il y ait des phénomènes dans les démocraties et qu’au bout du compte il y ait une sorte de ressaisissement à travers la tragédie, en tout cas c’est à ça qu’il faut travailler”.

Ensuite il constate qu’on reproche à l’Union européenne son impuissance dans la crise, qui n’a cependant aucune compétence en matière sanitaire, laissée à la gestion des Etats, alors que selon lui les réactions dans le domaine qui lui est propre, laissent présager une amélioration de son système de gouvernance : “Dans les domaines où l’Union européenne a des compétences, c’est à dire on parle précisément de la Banque centrale et de la Commission, Madame Lagarde et Madame Von der Leyen ont pris finalement assez vite des décisions économiquement considérables, sans précédent : l’Allemagne a accepté, je pense momentanément, mais ce momentané peut durer un certain temps, de suspendre le dogme absolu de 3%, qui est presque un élément religieux pour les Allemands. Donc oui, le système européen, là où il est compétent, s’est mis en ordre de marche, mais ce n’est qu’un début, il faut voir ce que l’on va faire après sur le plan économique pour peut-être réinventer une politique économique notamment dans la zone euro, en tout cas une coordination de la politique économique (…) qui nous sorte des trente dernières années, voire de certains dogmes qui remontent au Traité de Rome, je parle de la politique de la concurrence qui est trop étroitement conçue. Donc là il y a une possibilité pour l’Europe de retrouver une légitimité qui s’était effilochée avec le temps”.

Ce voeu pieux énoncé, Védrine voit trois types de stratégie s’affronter dans la période post-déconfinement à venir, entre lesquelles il établi cependant des passerelles : “en Europe, on pourrait en parler mondialement, il y a ceux qui rêvent d’un retour à la normale, entre guillemets, moi je pense que la normale d’avant n’était pas normale, mais il y a un courant très puissant pour relancer la machine économique. Et c’est vrai qu’il faut éviter absolument le collapse économique compte tenu des conséquences sociales et humaines, mais ça sans tomber dans les absurdités de Trump, enfin il y a un courant de ce côté là. Après vous avez des utopistes qui sont des utopistes gauchistes ou disons archéo de gauche ou écologistes qui disent “il faut tout changer”. Mais c’est absurde parce que ça n’arrive jamais qu’on change tout, donc on est entre les deux. Qu’est-ce qu’on doit changer ?”

En fait selon lui, la crise sanitaire, en ce qu’elle révèle la soudaine obsolescence du modèle mondialiste, oblige, sinon à le changer, du moins à le corriger : “Alors je sais que les industriels réfléchissent beaucoup à la correction de la fameuse chaîne des valeurs qui est d’éparpiller la production partout mais notamment en Asie. Ca c’est pas des utopistes, c’est des gens très concrets : qu’est-ce qu’on va changer ? C’est évident qu’il faut changer l’impéritie du système mondial. Face à une future nouvelle pandémie, il y a plein de choses à changer, mais on va pas tout changer comme ça par miracle. Moi je crois qu’il faut absolument résister à la tentation de dire que les contraintes écologiques, qui sont pas des contraintes, qui sont les fondamentaux de la croissance de demain, soient mises de côté. C’est ce que demandent les Tchèques, les Polonais qui veulent relancer le charbon, et écarter le projet de Green Deal de Madame Von der Leyen. Moi je suis du côté de ceux qui disent non il faut sortir de la crise progressivement en intégrant ces données là, pas en les opposant. Voyez, on peut avoir d’autres points de vue, c’est un exemple de débats qui vont se développer vigoureusement dans les prochaines semaines je pense.” Rappelons que le Green Deal proposé le 11 décembre dernier par la présidente de la Commission européenne consiste à doter la Banque européenne d’investissement de 1000 milliards d’euros sur la décennie 2020, soit 100 milliards par an, pour financer les projets susceptibles de ramener à zéro les émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne d’ici 2050.

Le journaliste de Radio Classique lui demande alors plus de précisions sur les “re-localisations” ou “re-régionalisations” à venir, stratégie adoptée sous les quolibets par Trump à l’égard des emplois américains délocalisés en Chine dès son élection à la Maison Blanche : “c’est pas ce que je souhaite personnellement voyez, précise Védrine, c’est un processus qui est déjà entamé depuis quelques années : un certain nombre d’industriels se sont rendus compte que c’était excessif quand même, et on en a la caricature à travers l’affaire des masques, de dépendre uniquement du marché mondial et de se fier uniquement par exemple à la Chine. Quand la question s’est posée il y a quelques années au sein du gouvernement et de l’administration française, si quelqu’un avait dit que ce n’était pas prudent de ne dépendre que du marché mondial, il aurait été traité de crétin souverainiste, archaïque, extrémiste. Bon c’était l’idéologie dominante vous voyez, la mondialisation devenue complètement hystérique. Donc ce n’est pas ce que je souhaite moi, mais il y avait une correction qui avait déjà commencé et je sais que beaucoup d’industriels travaillent déjà sur le fait qu’il y a une partie du commerce mondial, qui déjà d’ailleurs depuis dix ans s’est développé moins vite que dans les vingt années d’avant, qui va un peu se re-régionaliser pour des raisons à la fois de coût, parce que les salaires ont monté en Chine, et pour des raisons donc sanitaires maintenant, et aussi pour des raisons écologiques. Et ces éléments ne sont pas tous contradictoires en fait”.

Evaluant la tension qui ne manquera pas d’opposer orientations sociales et libérales au sortir de la crise, Védrine la situe précisément à “la demande de régulation, là il y aura une bataille féroce parce qu’il y a des forces dans le monde qui ne veulent pas de régulation. Rappelez-vous comment Trump a balayé la re-régulation financière, pas très violente mais quand même, qu’avait mise en place Obama. Nous devons réagir en même temps à une demande sociale énorme parce que les Français ont vu à la télévision et dans les articles et tous les jours le rôle indispensables de toute une série de métiers vitaux, importants, je parle pas que dans la santé, mais il y a aussi le reste, qui sont des gens payés au SMIC, donc je pense qu’il y aura d’une façon ou d’une autre une sorte de Grenelle, je me réfère au Grenelle de Pompidou de 68 par rapport à ça. Bon il faut mettre tout ça en ordre et c’est vrai que la bataille n’est pas gagnée parce que il y a des forces dans le monde qui veulent recommencer comme avant, or la mondialisation a eu des aspects extraordinairement positifs et enrichissants et des effets dévastateurs. Donc c’est ça l’enjeu qui est devant nous : est-ce qu’on arrive à corriger ce qui avait dérivé ? ‘On’ c’est un ‘on’ collectif”.

Renaud Blanc rappelle alors à Védrine son interview dans Le Figaro le 22 mars, où il interrogeait “les ravages du tourisme de masse” : “ça n’a aucun rapport avec le démarrage des épidémies, précise-t-il, qui sont liées à la trop grande promiscuité entre les animaux, les animaux sauvages, les hommes etc, en Afrique ou en Chine, mais ça a un rapport avec la propagation foudroyante des mouvements de population soit par le tourisme de masse soit par les migrations. Mais je sais que c’est quasiment insoluble, même quand je pose la question, puisque le tourisme de masse doit représenter 10% du PIB mondial, beaucoup plus dans certains cas, si on fait la moyenne, bon, c’est presque impossible à traiter, mais tant qu’on n’aura pas trouvé une sorte de vaccin universel, qui mute aussi vite que les virus qui mutent, ce sera un élément de danger, qu’on avait écarté en dépit des prévisions de la CIA, de Bill Gates etc. Donc la question se pose mais je ne suis pas sûr qu’il y ait une solution en fait sur ce point.

La position médiane adoptée par Védrine sur l’évolution de l’Union européenne est cependant dénoncée par l’essayiste et politologue Eric Zemmour, dont l’audience est importante à l’émission quotidienne “Face à l’info”, animée par Christine Kelly sur CNews entre 19 et 20h, dont il est la vedette avec Marc Menant, Eric de Riedmatten et Harold Hyman. Selon lui les européistes voudraient profiter des nécessités de la relance post-coronavirienne pour enfin réaliser leur vieux rêve d’une Europe fédérale. Jeudi soir 9 avril un accord a été trouvé pour le financement de la crise sous les applaudissements des ministres de l’Eurogroupe selon lequel, comme l’explique Eric de Riedmatten dans Face à l’info du 13 avril (5), 500 milliards de lignes de crédit d’argent virtuel seront mis à disposition des pays frappés par la crise dans la limite de 2% de leur PIB, en plus des investissements nationaux, ce qui n’est pas énorme, et sans effacement des dettes. Par contre la mutualisation de tout ou partie des dettes, pomme de discorde structurelle avec l’Allemagne, a été refusée par les pays du Nord, et au premier chef par l’Allemagne, ainsi que les “eurobonds” qui auraient permis de souscrire une sorte de dette commune et de la rembourser avec des taux intérêts communs. “Un coup d’épée dans l’eau” conclut-il.

Eric Zemmour, d’accord avec cette conclusion, se réjouit cependant de cet échec : “Les Européens ont décidés d’utiliser 250 milliards pour le MES (Mécanisme Européen de Stabilité), c’est à dire une espèce de FMI européen, et le MES qu’est-ce que ça veut dire ? Ca veut dire que si l’Italie par exemple demande de l’argent au MES, ça veut dire que les Allemands lui disent : ‘alors là mon coco il faut que tu dépenses ça il faut que tu dépenses ci, il faut que tu économises ça, il faut que tu économises ci’ ! Donc ça veut dire que les Italiens ne demanderont rien”. “Mais ils ont fait une exception sur les dépenses sur la santé”, fait cependant remarquer Harold Hyman. “Donc ça veut dire que le MES c’est du bidon, reprend Zemmour, personne n’ira chercher parce que c’est humiliant, c’est comme la Grèce il y a quelques années. Le reste, l’argent qui est soit-disant donné par l’Europe, c’est en fait équivalent à ce que chacun donne, la France donne tant, et ce qu’elle donne par la main gauche elle le reçoit par la main droite”.

“Et maintenant j’arrive à vos “corona-bonds”, lance Zemmour à de Riedmatten, je ne suis absolument pas d’accord avec vous, et je ne suis pas d’accord avec Bruno Le Maire et avec Emmanuel Macron, ces “corona-bonds” ne servent à rien, parce que la Banque centrale européenne ramasse toutes les dettes qu’on veut, 750 milliards ils peuvent aller jusqu’à 1000 milliards, Madame Lagarde a dit ‘je paye tant que je veux’, donc ça ne sert à rien ces “corona-bonds”, c’est uniquement pour aggraver, accroître, ça dépend dans quel sens on le voit, la fédéralisation de l’Europe, c’est pour rendre encore plus incassable la zone euro. Parce que si jamais on a des dettes mêlées, alors là on ne pourra jamais se séparer, c’est uniquement un projet européiste. Et je pèse mes mots : c’est honteux de la part de Bruno Le Maire et d’Emmanuel Macron que de profiter de l’émotion suscitée par la maladie et par l’épidémie pour pouvoir avancer leur agenda européiste, c’est scandaleux, vraiment humainement c’est scandaleux. Donc moi je félicite les Hollandais, je félicite les Allemands, les Allemands ont roulé les Français dans la farine comme d’habitude, (…) et heureusement qu’ils se sont faits rouler”.

Marc Menant fait alors remarquer que les opposants à la mutualisation des dettes sont ceux qui n’ont soit pas confiné, soit déconfinent actuellement comme l’Autriche, à l’exception de la Bavière et du Bade-Wurtemberg observe Hyman, mais avec très peu de morts souligne Zemmour. L’ensemble du plateau tombant ensuite d’accord pour dire que les applaudissements des ministres de l’Eurogroupe à l’issue de la réunion du 9 avril étaient de la “com”, Harold Hyman, qui se dit pro-européen, déclare : “depuis 2005 on fait essentiellement des rustines parce que le projet est bancal”. Rappelons que 2005 date le non français et hollandais à la constitution européenne, contourné par le traité de Lisbonne en 2007, qui donne son cadre institutionnel actuel à l’Union européenne. “Il est bancal, souligne Zemmour, parce qu’on a fait une monnaie sans Etat, c’est la discussion de fond depuis quarante ans. Une monnaie ne peut pas être fabriquée sans un Etat”. Pour conclure ce point sur l’Europe, de Riedmatten fait observer que là où la France a 100 milliards de soutien aux entreprises, l’Allemagne – très peu endettée souligne Zemmour – a mis 1100 milliards pour relancer son économie : “le plan de Madame Merkell est inimaginable : pour recapitaliser les entreprises et nationaliser la Lufthansa l’Allemagne a débloqué 100 milliards d’euros là où la France va mettre 20 milliards”. Pour finir, il y a 7000 lits de réanimation en France contre 25 000 en Allemagne, qui vient de déclencher 10 milliards tout de suite pour les hôpitaux.

Parmi les partisans du “il faut tout changer” cités par Védrine, élargissons le tour d’horizon pour ajouter les partisans d’une restauration de l’URSS en Fédération de Russie, déjà très virulents d’ordinaire sur le plateau de la chaîne de la télévision d’Etat Rossia 1 dans le talk-show de Vladimir Soloviev, pris soudain d’un regain de fébrilité dans la situation créée par la pandémie. Lors de son allocution télévisée du 2 avril, décidant du prolongement de la quarantaine jusqu’à la fin du mois, le président Poutine a fait part de sa décision de laisser les gouverneurs prendre les mesures de confinement pour leur région, en fonction des situations locales dont ils sont meilleurs juges que le pouvoir central, traduisant dans les faits l’esprit de la réforme constitutionnelle telle qu’il la conçoit. Le soir même chez Soloviev (6), l’écrivain Zakhar Prilépine, qui se hasarde en politique à la tête d’un nouveau parti national-communiste, “Za Pravdou”, déclare sur un ton ironique que “le gouvernement agit comme un pouvoir démocrate dans les grandes largeurs en accordant un pouvoir extraordinaire inhabituel aux gouverneurs”. Et il s’inquiète de ce que ces mesures ne concernent pas que la santé mais aussi l’économie et le profit que peuvent tirer de la situation les petites et moyennes entreprises, ce qui ouvre des perspectives intéressantes à ceux qui sont en charge de prendre ces mesures. Plus généralement il espère que cette crise globale provoquée par la pandémie puisse avoir l’effet positif de faire émerger dans l’opinion la capacité de faire le tri entre les vraies valeurs et ce qui est apporté par le virus : le genrisme hideux, le globalisme mensonger, les fausses valeurs et les fausses autorités morales, que tout ça retourne vite d’où ça vient. Parce que “l’aristocratie financière autoproclamée, l’aristocratie de la quasi-culture auto-proclamée, va vite reprendre les premières places et vite imposer le mariage unipolaire, l’achat de yachts etc. Tout ça va recommencer”. Selon lui il faut donc prendre des décisions : “nous avons compris ici et maintenant qu’il nous fallait un nouvel Etat social : la médecine, les auxiliaires de police et l’agriculture”.

On le voit, on est là dans un tout autre univers. Trois jours après, dimanche 5 avril, le même Soloviev introduit son talk-show en proclamant que “le coronavirus peut provoquer le début d’une nouvelle guerre géopolitique (sic)”, dans laquelle la baisse du prix du pétrole ne joue pas le moindre rôle. Il déclare avec satisfaction que l’Occident est en train de perdre son leadership au profit de la Russie et de la Chine, et il donne tout de suite la parole à l’un de ses favoris, Karen Chakhnazarov, cinéaste qui se pique de géopolitique sur un ton blasé revenu de tout, lequel remarque que cette première pandémie de l’histoire va provoquer une fermeture durable des frontières, donc un arrêt de l’économie, aux conséquences imprévisibles, alors que les Européens de l’Ouest ne voudront pas perdre leur leadership économique. Selon lui, alors qu’il est question d’unir les forces pour lutter contre l’épidémie, parce que nous serions dans le même bateau, les bateaux sont en fait différents, mais le fleuve unique. Et l’épidémie conduisant à un krach de l’économie, l’on sait où conduit généralement ce genre de crise : cela se décide par une guerre, et l’éviter n’est pas garanti. Observant que la République populaire de Chine acquiert toujours plus d’influence après avoir vaincu le virus sur son territoire : elle aide l’Afrique et se comporte déjà comme un leader, il pose enfin la question du rôle que peut jouer la Fédération de Russie, en fonction de la façon dont elle va se mesurer à l’épidémie, si elle en sort rapidement, de façon à en recueillir les bénéfices.

Rien que de très banal dans ces propos qui seront recadrés par d’autres intervenants, revenant à une analyse plus avertie du jeu des relations internationales dans le contexte actuel, les nations ayant de tout temps été dans des bateaux différents, pour reprendre la métaphore hasardeuse de Chakhnazarov, ce qui définit la complexité structurelle de ces relations. Mais citons un autre favori de Soloviev, le quelque peu hystérique professeur Serge Kurginyan, leader de rien moins qu’un mouvement intitulé “L’essence du temps”, à qui la parole est donnée ensuite : “à qui profite cette épidémie, se demande-t-il pour commencer, sinon à qui est-elle utile ?”, pour affirmer ensuite que “celui qui la supportera sera celui qui sera en capacité de supporter une telle charge”. C’est un choc global selon lui, suivi d’une série de chocs qui en seront la conséquence, dont il faudra supporter la charge. Et les pays qui ne s’y sont pas préparés vont “éclater comme le verre sous le choc d’un marteau”. “La Russie doit donc se souvenir de l’époque où elle n’était pas comme la vitre de la globalisation mais comme le marteau d’une existence souveraine, martèle-t-il. Elle doit donc reprendre ce qui reste de l’héritage soviétique comme facteur d’avenir car il n’y en a pas d’autre”. Il fait ensuite une petite digression sur la façon de nourrir les enfants par temps de crise, pour déplorer le fait que la Russie soit passée d’une économie globalisée en train de s’effondrer à une société globalisée. Et il craint qu’en Russie on ne soit plus capable de “resserrer les boulons” et qu’on donne les pleins pouvoirs administratifs aux régions. Sans parler de son envolée finale développant une thèse conspirationniste sur l’origine nippo-américaine du virus.

On le voit, toutes ces discussions montrent à quel point l’humanité est touchée par ce qu’elle vit actuellement, phénomène amplifié par la monomanie médiatique, notamment dans sa croyance en un progrès continu qui conduirait à une sortie de l’histoire et de la nécessité. Dans son discours du 13 avril, Emmanuel Macron a évoqué une “refondation” de l’Union européenne, et l’opportunité offerte par la situation que nous traversons pour “savoir nous réinventer”, lui le premier. L’on en saura plus dans le discours prévu à la mi-juillet, “pour parler de cet après”, en espérant que cette fois seront énoncées des décisions à la mesure des défis qui nous attendent.

Frédéric Saillot, le 14 avril 2020

(1) https://ericzemmour.org/face-a-linfo-7-avril-2020-hd-en-direct/, à partir de 16′
(2) http://www.eurasiexpress.fr/pour-une-intelligence-economique-francaise/
(3) L’Invité politique, 6 avril 2020.
https://www.nouvelobs.com/coronavirus-de-wuhan/20200315.OBS26080/bill-gates-et-la-cia-avaient-prevu-la-pandemie-et-nous-ne-sommes-pas-prets.amp
(4) https://aif.ru/culture/person/zemlya_ot_nas_ustala_mihail_veller_o_tom_kak_nyneshnyaya_pandemiya_izmenit_mir
(5) https://www.youtube.com/watch?time_continue=893&v=P9pFvZL7Z7A&feature=emb_title
(6) https://www.youtube.com/watch?v=hCB3KjIlyqg
(7) https://www.youtube.com/watch?v=5vj5oyo4gvM